Osservatore Romano (15/06/1966)
Le 7 décembre 1965, veille de la clôture du concile Vatican II, le Bienheureux Paul VI publie une lettre apostolique en forme de motu proprio (de sa propre initiative) dans laquelle il réforme le Saint-Office. Il en retrace l’histoire. La Congrégation pour la Doctrine de la foi (CDF) le remplace. Il n’est plus question de l’Index des livres interdits. Certains s’en émeuvent.
Le 14 juin 1966, le cardinal Alfredo Ottaviani, reconduit dans ses fonctions, interroge le Souverain Pontife sur le sens à donner à cette omission[1], puis officialise sa suppression. L’Index "n'a plus force de loi ecclésiastique avec la censure qui y est liée". L'Osservatore Romano du 15 juin 1966, publie en latin le texte de la "Notification". En effet, la notification étant un acte officiel du Saint-Siège, elle est enregistrées comme telle dans les Acta Apostolicae Sedis (A.A.S. en abrégé) et proclamée en latin. Cette notification est intitulée Notificatio de Indicis librorum prohibitorum conditione, et référencée Acta Apostolicæ Sedis (AAS) 58/445 du 14 juin 1966..Elle a bien sûre été traduite ensuite en différente langue dont le français que nous reproduisons dans la suite de cet article aux fins de commentaires.
Fac-similé de l'Osservatore Romano
Texte français de la notification
SACRÉE CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI - Notification sur la suppression de l'index des livres interdits Notificatio de Indicis librorum prohibitorum conditione, et référencée Acta Apostolicæ Sedis (AAS) 58/445 du 14 juin 1966.
Après la publication du Motu proprio "Integrae servandae", daté du 7 décembre 1965, beaucoup de questions ont été posées au Saint-Siège demandant ce qu’il en était de l’Index des livres interdits dont l’Église s’est servie jusqu’à maintenant pour protéger l’intégrité de la foi et des mœurs, conformément au mandat divin.Pour répondre à ces questions, cette S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, après s’en être entretenue avec le Saint-Père, fait savoir que son Index garde sa valeur morale en ce sens qu’il demande à la conscience des fidèles – comme l’exige le droit naturel lui-même – de se garder contre les écrits qui peuvent mettre en danger la foi et les bonnes mœurs. Mais l’Index n’a plus force de loi ecclésiastique avec les censures qui y sont attachées.
C’est pourquoi l’Église fait confiance à la conscience mûre des fidèles, surtout des auteurs et des éditeurs catholiques et de ceux qui sont chargés de l’éducation des jeunes. Mais elle compte fermement sur la sollicitude vigilante de chacun des Ordinaires et de chacune des Conférences épiscopales qui ont le droit et le devoir de surveiller et de faire éviter les livres nuisibles, ainsi que, le cas échéant, de les réprouver et de les condamner[2].
Dans l’esprit du Motu proprio «Integrae servandae» et des décrets du IIe Concile œcuménique du Vatican, la S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi s’efforcera si besoin est de communiquer avec les Ordinaires du monde catholique pour leur venir en aide lorsqu’il s’agit de porter un jugement sur les livres, ou de promouvoir une saine culture, face à la mauvaise, en coordonnant ses efforts avec les instituts et les universités.
Mais si d’une façon ou d’une autre sont divulguées des doctrines et des pensées contraires aux principes de la foi et des mœurs, et si leurs auteurs, après y avoir été invités humainement, ne veulent pas corriger leurs erreurs, le Saint-Siège fera usage de son droit et de son devoir pour réprouver de tels écrits, même publiquement, afin d’assurer le bien des âmes avec la fermeté qui convient.
Enfin, les mesures voulues seront prises pour que le jugement de l’Église sur les publications parvienne à la connaissance des fidèles.
Donné à Rome, au palais du Saint-Office, le 14 juin 1966.
+ A. Card. Ottaviani
Pro-Préfet de la S(acrée).C(ongrégation). pour la Doctrine de la Foi
+ P. Parente
Secrétaire
Texte français du décret d'application
On le voit, la formulation de la notification laissait place à interprétation : on semblait donner d'une main ce que l'on reprenait de l'autre. D'autre part cette suppression concernait-il des œuvres contenant manifestement des hérésies ? Il fallut donc préciser l’interprétation du texte, ce que fit le cardinal Ottaviani dans un Décret d’application paru le 15 novembre 1966. La conclusion, pour laconique qu’elle soit, était sans ambigüité : l’abolition concerne toutes les conséquences pour toutes les œuvres.SACRÉE CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI - DÉCRET Decretum de interpretatione «Notificatio» die 14 iunii 1966 circa «Indicem» librorum prohibitorum), 15 novembre 1966" AAS 58/1186."Après la publication de la "Notification" du 14 juin 1966 (voir ci-dessus) concernant l’"Index" des livres interdits, on a demandé à cette S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi si demeuraient en vigueur le can. 1399, qui interdit ipso iure certains livres[3], et le can. 2318, qui impose des peines aux transgresseurs des lois sur la censure et la prohibition des livres[4].
Ces questions ayant été posées à l’Assemblée plénière du mercredi 12 octobre 1966, les éminentissimes Pères chargés de la protection des matières de foi ont décidé qu’il fallait répondre :
1) Non aux deux questions, en vertu de la loi ecclésiastique ; cependant, il faut inculquer de nouveau la valeur de la loi morale, qui prohibe tout à fait de mettre en péril la foi et les bonnes mœurs ;
2) que ceux qui ont encouru les censures dont il est question au can. 2318[5] doivent être considérés comme absous de celles-ci, par le fait même de l’abrogation de ce canon.
Au cours de l’Audience accordée le 14 juin 1966 au Cardinal Pro-Préfet de cette S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le Souverain Pontife Paul VI a daigné approuver ledit décret, et il a ordonné qu’il soit publié.
Donné à Rome, au siège de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le 15 novembre 1966."
+ A. Card. OttavianiPro-Préfet
+ P. Parente
Secrétaire
Notes et références
- ↑ Le cardinal Ottaviani n’est que Pro-Préfet de la congrégation (= Préfet adjoint). Integrae Servandae stipule en effet que la nouvelle congrégation est "présidée par le Souverain Pontife, elle sera dirigée par un Cardinal-Secrétaire, assisté d’un Assesseur, d’un Substitut et d’un Promoteur de justice."
- ↑ Les directives du souverain Pontife sont plus positives que cette focalisation sur la condamnation, trace des vieux reflexes. Paul VI disait dans son motu proprio : "Mais parce que l’amour parfait bannit la crainte (1 Jean, 4, 18), la protection de la foi sera mieux assurée par un office chargé de promouvoir la doctrine, qui donnera de nouvelles forces aux hérauts de l’Évangile, tout en corrigeant les erreurs et en ramenant avec douceur dans la bonne voie ceux qui s’en sont écartés."
- ↑ La canon 1399 du code de droit canon de 1917 (en vigueur à l'époque) prohibe "par le droit même", 12 catégories de publications. Celle de Maria Valtorta entre dans la catégorie n° 5 : "n5) [...] les livres et brochures qui racontent de nouvelles apparitions, des révélations, des visions, des prophéties, des miracles, ou qui préconisent de nouvelles dévotions, même si elles sont présentées comme des dévotions privées; tous les livres de cette sorte sont interdits lorsqu'ils paraissent sans avoir été soumis préalablement à l'examen de la censure ecclésiastique prévu par le Can. 1385 p.1". L'abolition du canon 1399 entraîne de jure, l'abolition de l'Index pesant sur Maria Valtorta.
- ↑ La formulation semble englober la totalité des livres à l'Index (qui inclut par exemple Notre-Dame de Paris de Victor Hugo). Le canon est plus restrictif (voir note suivante).
- ↑ Le canon 2318 frappait d'excommunication les auteurs, éditeurs et lecteurs de livres apostats, hérétiques ou schismatiques. Au terme de ce décret, ils sont "absous".