Enquête sur la datation de la vie de Jésus

    De Wiki Maria Valtorta
    Enquête sur la datation de la vie de Jésus
    CEV 2021 Page de couverture CEV 2021
    Détails de l'œuvre
    Auteur Jean-François Lavère
    Titre complet Enquête sur la datation de la Vie de Jésus - éclairée par l’harmonie des évangiles et par les apports de Maria Valtorta.
    Pages 121
    Parution 2021
    Éditeur Centro editoriale valtortiano
    ISBN 978-88-7987-361-1

    Parmi toutes les études sur la datation de la vie de Jésus, aucune ne s'est imposée de manière incontestable. Mais ce constat ne signifie pas que parmi les différentes études proposées, il n’y s’en trouve pas une qui se rapproche plus qu’une autre de la vérité. Inspiré par saint Luc ― qui revendique lui-même, dès le début de son évangile, l’exactitude et l’ordonnance de son récit ― Jean-François Lavère nous propose cette enquête éclairée par le rapprochement des sources historiques, des évangiles et des écrits de Maria Valtorta.

    Sommaire de l'ouvrage

    • Introduction. 7
    • Le début de la vie publique de Jésus. 10
    • Les années sabbatiques et jubilaires. 23
    • Le Temps de la Passion et de la Résurrection. 26
    • La naissance de Jésus. 35
    • La conception de saint Jean Baptiste. 45
    • Que conclure de cette enquête ?. 50
    • Les apports décisifs du récit de Maria Valtorta. 53
    • Chronologie et datation de la Vie de Jésus déduites du récit de Maria Valtorta. 56
    • Autres données historiques du premier siècle. 95
    • Conclusion. 111
    • Table de correspondance de quelques noms propres. 115
    • Annexe: Maria Valtorta et son œuvre. 117

    Introduction de l'auteur

    "L’Église, depuis saint Augustin, a toujours affirmé que les livres de l’Écriture Sainte « enseignent fermement, fidèlement et sans erreur la vérité que Dieu a voulu voir consignée » (Dei Verbum n° 11). Pour tout chrétien, l’Évangile reste donc bien évidemment la base incontournable pour toute étude sur la vie du Seigneur. Nous devons croire aux informations qu’il nous fournit, même si leur vérité ne nous apparait pas au premier coup d’œil. N’en déplaise à l’esprit des « Lumières », et malgré de nombreuses tentatives faites au cours des trois derniers siècles, personne n’a réussi ni ne réussira jamais à prouver de façon irréfutable que les récits évangéliques se contredisent ou contiennent des erreurs historiques.

    Certes les évangiles comportent plusieurs repères en apparence difficilement conciliables. Si l’on ajoute les données historiques, épigraphiques, numismatiques, astronomiques les plus pertinentes, et quelques éléments hagiographiques convaincants tirés des traditions les mieux établies, alors l’ensemble apparait d’abord comme totalement inextricable. Si tant de générations de chercheurs[1] ont buté sur ce problème, ce n’est certes pas dû à un manque de repères, mais bien au contraire parce que ces repères sont très nombreux et semblent souvent, en première analyse, contradictoires entre eux. La tentation peut être forte alors de passer sous silence les données qui invalident la théorie retenue, et de tenter de focaliser l’attention uniquement sur celles qui la confortent... Ce stratagème, outre qu’il manque de rigueur scientifique, finit tôt ou tard par être dévoilé, donnant lieu à de nouvelles recherches et à de nouvelles théories. Au final, il apparaît qu’aucun système de datation de la vie de Jésus n’a réussi à s’imposer incontestablement depuis 2000 ans.

    Mais ce constat ne signifie pas que parmi les différents systèmes proposés, il n’y s’en trouve pas un qui soit conforme à la vérité. L’absence d’une preuve incontestable pour imposer une datation suffit-elle pour mettre en doute l’historicité, l’harmonie, voire même la véracité des évangiles ? Depuis l’autoproclamé « Siècle des Lumières », c’est pourtant cette attitude que privilégient de nombreux auteurs, préférant dénigrer les Écritures plutôt que d’avouer humblement leur incapacité à résoudre l’énigme séculaire qu’elles posent, en ce qui concerne la datation du séjour terrestre du Christ. C’est vraiment faire affront aux chrétiens des premiers siècles, que de les juger si crédules ou si peu avisés pour avoir pu accepter ces prétendues contradictions jusqu’à parfois accepter de mourir pour elles.
    Il m’a semblé bon, à moi aussi qui ai tout accompagné de près depuis l’origine, d’écrire (…) avec exactitude, un récit ordonné… (Luc 1,3).
    Au commencement de l’ère chrétienne, les Pères de l’Église tentèrent de dater les principaux événements de la vie de Jésus. Et dans ce but, bien évidemment, leur principale source d’information fut l’Évangile. En effet, si le Seigneur a désiré nous révéler les dates de son séjour terrestre, c’est certainement dans les Écritures qu’il convient de les rechercher, car seule l’Écriture Sainte comporte la Vérité « révélée ».

    Pour mener à bien cette recherche, le texte de saint Luc s’impose prioritairement, puisque l’auteur lui-même revendique dés le début de son œuvre l’exactitude et l’ordonnancement de son récit. En étudiant scrupuleusement les datations de la vie de Jésus établies durant les cinq premiers siècles, il apparait effectivement assez clairement que les Pères de l’Église privilégièrent en premier lieu deux informations tirées du texte de saint Luc et concernant le début de la vie publique. Ce sera donc aussi notre point de départ."

    Le début de la vie publique de Jésus

    Luc 3.1

    Jean Baptiste proclame le baptême de conversion en « l'an 15 de l'hégémonie de Tibère » (Luc 3,1).  Jésus « avait comme trente ans en commençant » sa vie publique (Luc 3,1).

    "Saint Luc[2] nous transmet ici un premier élément situant dans le temps le début du ministère du Christ, et un second permettant d’y raccorder sa naissance. L’histoire retient qu’Auguste mourut le mardi 12 août 14 et que Tibère lui succéda « légalement » le dimanche 17 août 14. Il fit ensuite serment le 14 septembre et reçut son investiture du Sénat romain le 15 septembre. C’est enfin le 13 octobre 14 qu’il fut officiellement nommé « Princeps ». Tout naturellement l’an 14 de notre ère fut généralement retenu par les historiens romains, dès la fin du premier siècle, comme première année du « règne » de Tibère. La quinzième année de son règne commence alors « mathématiquement » au cours de l’an 28. Inutile d’être « savant » pour en déduire que Jésus commença sa vie publique au début de l’an 29 !

    Considérant sans doute cette indication comme étant la plus précise qu’on puisse tirer de l’Évangile, les Pères de l’Église purent alors fixer quasi unanimement la naissance du Seigneur trente ou trente-et-un ans plus tôt, selon qu’ils estimèrent le début du ministère de Jésus à son trentième anniversaire, ou à ses trente ans révolus, le texte de saint Luc laissant une certaine incertitude sur ce point. Comme il n’était pas encore question, à cette époque, de dater les événements en fonction de « l’ère chrétienne », les Pères prirent des références bien connues de tous : les olympiades, les nominations des consuls romains ou encore le commencement de l’Empire romain. Mais ce dernier repère était encore incertain, et les Pères indiquèrent la 41e ou la 42e année d’Auguste, selon qu’ils considéraient l’an 1 de son règne à la mort de Jules César (le 15 mars 44 av. J.-C.), ou lorsqu’il fut acclamé empereur (le 21 avril 43 av. J.-C.). Au final, ceci correspond à l’an 751 ou 752 de la fondation de Rome, ou plus simplement pour nous, à l’an 3 ou 2 av. J.-C. Voici un essai d’inventaire aussi détaillé que possible de la date de naissance de Jésus selon les témoignages antiques :

    Témoignage antique en faveur de la Nativité en 4 av. J.-C :

    • Sulpitius Severus (vers 360-425, Chronique Livre II, ch. 27 ) « Sous Hérode dans la 33ème année de son règne le Christ naquit le 25 décembre sous le consulat de Sabinus et Rufinus (...) Hérode régna quatre ans après la naissance du Seigneur son règne ayant duré au total 37 ans ».

    Témoignages antiques en faveur de la Nativité en 3 av. J.-C :

    • Tertullien (Adversus judaeos VIII,11 vers 197) « Nous voyons que dans la 41ème année de l'Empereur Auguste, ce qui signifie 28 ans de pouvoir après la mort de Cléopâtre, naquit le Christ. Le même Auguste survécut quinze ans après la naissance du Christ »
    • Saint Irénée (Adversus Haereses - III. 21-3 vers 170-180) : « Le Seigneur est né dans la 41ème année du règne d'Auguste »
    • Saint Clément d'Alexandrie (Stromates  L1 ch 21 vers 210-220). « Le 25 du mois de Pachon, en la 28e année depuis l'Égypte subjugée » (depuis Actium). (Mais par ailleurs la chronologie de Clément comporte plusieurs erreurs flagrantes).
    • Eusèbe de Césarée : (vers 315-320) « 2e année de la 194e olympiade, 42e d'Auguste et 28e année de la soumission de l'Égypte et de la mort d'Antoine et Cléopâtre...Notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ naquit au temps du premier dénombrement, alors que Quirinius gouvernait la Syrie » (Hist. Eccl. L1 5-2)
    • Saint Jérôme (vers 380-400)  note pour la 2e année de la 194e olympiade la correspondance avec la date donnée par Tertullien pour la naissance du Christ. Il confirme ailleurs : « La 28e année de César Auguste, la 41e année de son règne, le Christ est né en Judée alors que régnait la confusion dans le monde » (Commentaire sur Isaïe vers 380). Ce fut aussi l’opinion retenue par le cardinal Baronius.
    • Saint Jean Chrysostome (vers 400) place la naissance en la 42e année de l'empire d'Auguste « depuis la mort de César ».
    • Cassiodore(vers 560) place la naissance de Jésus sous le consulat de Lentulus et de Messala, en la 41e de l'empire d'Auguste « depuis son premier consulat ».

    Témoignages antiques en faveur de la Nativité en 2 av. J.-C :

    • Saint Hippolyte de Rome, vers 204 : (Commentaire sur le livre du prophète Daniel 9,27l) « Le Seigneur est né à Bethléem le 2 Avril 5500, an 752 de la fondation de Rome ». Ailleurs dans le même ouvrage (4,23)  il écrit que Jésus est né la quarante-deuxième année du règne d’Octave Auguste.
    • Saint Épiphane de Salamine (Panarion 20,2 vers 374-377) : la 42ème année de pouvoir d'Auguste, 13ème de son consulat (?), et sous le consulat de Silvanus.
    • Apollinaire de Laodicée (vers 375-390) comptait 49 ans de la naissance du Christ à la 8e année de l'empereur Claude.
    • Orose : (Histoires, contre les païens. VI / 22-1, livre 7/ 2-14 et 3-1, vers 410-420) : « C'est pourquoi, en 752 après la fondation de Rome... César Auguste ferma alors lui-même les portes du Janus pour la 3ème fois (...) naquit le Christ. De notre temps, quasiment à la fin de la 42e année de l'empire, d'Auguste César...naquit le Christ. - Donc en 752 après la fondation de Rome naquit le Christ qui apportait au monde la foi salvatrice ».
    • Malalas : (Chronographia Ioannis Malalae, vers 565-575) « La 42e année de l'Empereur Auguste, le 25 Décembre, (...) est né le Seigneur Notre Dieu, Jésus Christ dans la ville de Judée, du nom de Bethléem (...) Octavien et Silvanus étant consuls, Hérode étant roi de Judée ».

    Durant les six premiers siècles, la naissance de Jésus fut donc très majoritairement située en 3 ou en 2 av. J.-C, et ceux qui la fixaient ainsi admettaient donc plus ou moins implicitement que Hérode le Grand n’était pas mort en 4 av. J.-C (comme cela fut affirmé bien des siècles plus tard), mais vers l’an 2 ou 1 av. J.-C.

    C’est aussi à partir du texte de saint Luc que bien des siècles plus tard, en 532, Denys le Petit, considérant que l’an 15 de Tibère avait débuté le 19 août 28[3] et estimant que Jésus avait alors non pas 30 ans, mais seulement 29 ans, fixa l’Incarnation au 25 mars de l’an 753 de Rome, en la 3e année de la 194e Olympiade. Il désigna donc le 1er janvier 754 de Rome comme étant l’an 1 de Jésus-Christ. Ce repère s’imposa peu à peu, et c’est celui qui fixe encore aujourd’hui le calendrier grégorien.

    Mais les innombrables chercheurs qui étudièrent cette question au cours des siècles s’aperçurent que ce raisonnement présentait quelques failles. Eusèbe de Césarée[4] avait déjà remarqué que placer le début du ministère de Jésus en janvier 29 (comme le fit ensuite Denys le Petit) conduit naturellement à fixer la Passion en l’an 32, et cette date s’avéra vite incompatible avec d’autres données évangéliques et astronomiques relatives au temps de la Passion.

    Voici donc deux indications de saint Luc qui, par leurs interprétations, mènent plus ou moins à une impasse, et suscitent deux interrogations.

    Première question

    Quand saint Luc écrit « l'an 15 de l'hégémonie de Tibère », fait-il indubitablement référence à l’an 28/29 de l’ère chrétienne ?
    À partir du 3e siècle, les Pères avaient à leur disposition les écrits de Flavius Josèphe, de Suétone, de Tacite ou de Dion Cassius, qui tous s’accordaient à peu près sur les années du règne de Tibère. Ils n’avaient guère de raison de mettre en doute ces écrits.

    Mais un peu plus tôt, vers la fin du 2e siècle, saint Clément d'Alexandrie affirme que certains, au lieu de donner au règne de Tibère une durée de vingt-deux ans, lui en donnaient une de vingt-six ans six mois et dix neuf jours[5]. C’est donc qu’à cette époque (et même longtemps après[6]) « quelques uns » considéraient encore que le règne de Tibère avait débuté en l’an 11 ou 12 et non en l’an 14 de l’ère chrétienne. Or le 11 août 11, c’est justement la date où il fut associé au gouvernement de l'empire. L’année suivante, le 15 janvier 12, on célèbre à Rome son triomphe et son titre d’imperium proconsulare maius, qui le désigne officiellement comme successeur d’Auguste. Il prend dès lors une part active dans le gouvernement de l'État, aidant son beau-père pour la promulgation de lois et pour l'administration, et en nommant personnellement Lucius Calpurnius Piso Frugi préfet de la ville. Tacite lui-même soupçonne ouvertement Tibère d'avoir pris le pouvoir « dès avant la mort d'Auguste »[7].

    Un contemporain et ami de Tibère, Velleius Paterculus (-20/+30), écrivit une Histoire romaine peu avant sa mort. Sa chronologie ne comporte aucune datation directe[8]. Mais il y précise (II, 121) qu’Auguste provoqua une décision formelle du sénat par laquelle son fils adoptif fut nommé corégent, à l’époque de son entrée triomphale à Rome, après qu’il eut vaincu les Pannoniens et les Dalmates. Or ces faits sont confirmés et datés par Suétone (Vie de Tibère, 21) au 16 janvier 765 de Rome. Pour ceux qui, encore à l’époque de saint Clément d’Alexandrie, considéraient que Tibère avait pris le pouvoir en 765 de Rome, la quinzième année de « son hégémonie » coïncidait avec les années 779/780 de Rome (soit l’an 26/27 de l’ère chrétienne). Il n’est pas du tout impensable que ce fut justement aussi l’opinion qui prévalait à l’époque de saint Luc[9]...

    En effet, qu’il y ait eu pendant toute la durée du premier siècle et même ensuite, quelques hésitations sur le début du règne de Tibère ne saurait nous surprendre. Les inscriptions épigraphiques contemporaines des règnes d’Auguste, de Tibère ou même de Claude sont datées d’après les consuls en fonction, ou d’après des évènements décisifs comme la bataille d’Actium, mais ne mentionnent pas les années de règne. L’usage d’indiquer les années de règne a semble-t-il été introduit par les historiens romains seulement à partir du second siècle[10]. Furent-ils inspirés par la numismatique ? En effet depuis longtemps, l’un des premiers gestes des monarques orientaux, pour signifier leur prise de pouvoir, était de battre monnaie, et les monnaies constituaient un moyen naturel pour comptabiliser les années de prise effective du pouvoir dans les provinces de l’Empire. Mais les années de règne ne figuraient pas sur les monnaies romaines[11]. D’ailleurs les écrits des historiens d’alors nous confirment qu’ils éprouvèrent une certaine confusion pour « reconstituer » les années de règne des grands dirigeants. Il n’est qu’à lire Flavius Josèphe pour s’en convaincre. Et n’oublions pas que saint Matthieu, saint Marc et saint Luc écrivirent leur évangile dans les décennies qui suivirent la Passion, comme c’est maintenant prouvé par les manuscrits de Qumran. Donc, bien avant Flavius Josèphe et les historiens romains qui furent ses contemporains, il n’est pas impossible qu’on ait compté l’an quinze de Tibère à partir de l’an 765 de Rome.
    Il n’est pas prouvé que saint Luc se référait à l’année 28 en mentionnant l’an 15 de Tibère.

    Seconde question

    Quand saint Luc écrit que Jésus « avait comme trente ans en commençant », cela se réfère-t-il à son trentième anniversaire ou à ses trente ans révolus ?

    À l’évidence les avis des Pères de l’Église furent partagés sur ce point. Il semble assez généralement admis que saint Jérôme, saint Irénée, saint Grégoire de Naziance, saint Théophylacte ou saint Euthymius optèrent pour le début de la 30e année, tandis que saint Ignace, Eusèbe, saint Jean Chrysostome ou plus tard Baronius choisirent plutôt le début de la 31e année. Ce point de vue divergeant justifie également une année de décalage entre les auteurs pour situer la naissance de Jésus.

    Les traditions juives peuvent-elles nous éclairer sur ce sujet ? Dans le judaïsme selon les Maximes des Pères, « à trente ans, on révèle sa force ». Trente ans, c'était semble-t-il l'âge où un rabbi pouvait commencer à avoir des disciples et à les enseigner[12]. C’était en tout cas l’âge initialement prévu pour l'entrée en fonction des lévites[13]. Trente ans, c’est aussi l’âge de la vocation d’Ezéchiel (Ez 1,1), ou encore l’âge qu’avait David quand il devint roi (2 S 5,4). Saint Irénée[14] réfutant l’erreur des gnostiques qui prétendaient que Jésus était mort dans sa trentième année, écrit : « Mais comment pouvait-il prêcher avant d’avoir atteint l’âge légal des maîtres ? ». Bien plus tard, Cornelius a Lapide[15] est encore plus formel, en commentant le passage de saint Luc : « À trente ans, quand, selon la coutume des hébreux, Il commença à accomplir son ministère d’enseignant et de Rédempteur, et prêcher publiquement ».
    Il est vraisemblable que Jésus débuta sa mission lors de l’anniversaire de ses trente ans.   

    Sans remettre aucunement en cause la véracité des informations fournies ici par saint Luc, on doit bien constater qu’elles n’apparaissent plus assez précises aujourd’hui pour permettre de dater à coup sûr le début du ministère de Jésus.

    Cependant saint Jean, dans son évangile, nous donne une autre information qui pourrait être décisive quant à cette datation. Durant la première Pâque, alors que Jésus vient de chasser les marchands du Temple, un groupe de scribes l’interpelle…

    Jean 2,20

    Il a fallu quarante-six ans pour construire ce temple, et toi tu le relèverais en trois jours ?

    Assez étonnamment cet élément ne semble pas avoir été pris en considération par les Pères de l’Église.

    • - soit qu’ils furent troublés par le fait que les synoptiques évoquaient eux aussi Jésus chassant les marchands du Temple, mais situaient ce geste juste avant la Passion.
    • - soit parce que cette donnée leur paraissait incompatible avec l’interprétation qui était faite à leur époque de l’an 15 de Tibère,
    • - soit, comme le suggère un commentaire de saint Thomas d’Aquin[16], parce qu’ils pensèrent qu’il s’agissait d’une allusion à la construction du Temple par Salomon et n’y virent donc pas un rapport direct avec le séjour terrestre de Jésus.

    Pourquoi saint Jean, témoin oculaire de la plupart des faits et gestes du Seigneur, aurait-il délibérément situé ce fait au début de son évangile, si ce n’est parce que c’est effectivement au début du ministère public qu’il se produisit ? Une explication logique semble s’imposer : saint Jean ayant rédigé son évangile en dernier, ne pouvait ignorer les récits déjà largement diffusés de ses trois compagnons. Rien ne lui imposait de reprendre des « faits divers » déjà connus de tous, comme le geste de Jésus chassant à nouveau les marchands, quelques jours avant la Passion. Il a donc délibérément choisi de nous révéler prioritairement ce que ses compagnons avaient omis de dire, sachant mieux que quiconque que « Jésus a fait bien d’autres choses » (Jn 21,23). Lui-même « témoigne de ces choses et les a écrites, et nous savons que son témoignage est conforme à la vérité » (Jn 21,24). Si l’on compare son récit de la dernière Cène et de la Passion avec les trois autres récits des synoptiques, il apparaît flagrant que saint Jean se soit efforcé de témoigner de ce que ses confrères avaient laissé dans l’ombre.

    Quant à la « construction » du Temple, il faut se remémorer que pour les contemporains du Christ, depuis quatre décennies le Temple et son esplanade faisaient l’objet de travaux plus ou moins incessants. Le moment où Hérode prit la décision de rénover, rehausser et embellir le Temple nous est précisément connu, par recoupement des informations fournies par Flavius Josèphe, Tacite, Suétone et Dion Cassius[17]. Cette décision fut prise entre l’automne 20 av. J.-C. et le tout début de l’an 19 av. J.-C.

    On sait également que la première phase de ces travaux fut extrêmement rapide, l’intérieur du Temple étant achevé dix-huit mois après l’annonce des travaux. Flavius Josèphe nous informe que c’est vers juin/juillet de l’année 18 av. J.-C. que fut organisée « une grande Cérémonie pour inaugurer le Temple  (…) cette inauguration coïncida avec lʹAnniversaire de lʹarrivée dʹHérode au Pouvoir » (le 9 sivan ?). Les énormes terrassements sur l’esplanade prirent encore plus de huit ans, avant que ne débutent plus tard les aménagements des portiques, et les travaux d’embellissement. Flavius Josèphe nous explique encore : « Hérode fit édifier autour du Temple de très larges et hautes galeries portiques, disposées selon les lois de la symétrie, et d’une beauté telle qu’on eût dit que, jamais auparavant, le Temple n’avait été enchâssé avec une telle magnificence ». Les premiers travaux ayant débuté au printemps 19 av. J.-C, quarante six ans plus tard, cela nous mène indubitablement au printemps 27 de l’ère chrétienne[18].
    La première Pâque que saint Jean évoque, au début de la vie publique de Jésus, est celle de l’an 27.

    Voici donc un premier repère très précis, directement déduit de l’Évangile et qui pourrait suffire théoriquement à dater toute la vie de Jésus. Si l’on accepte que la parole touchant les 46 années employées à embellir le Temple a été prononcée lors de la première Pâque de la vie publique de Jésus, alors il faut compter les années de Tibère à partir de l’an 12, même si cette façon de compter ne semble plus pouvoir être formellement prouvée de nos jours, à moins d’une future découverte archéologique.

    Nous allons voir maintenant que ce repère décisif n’est heureusement pas le seul…"

    Fin des bonnes pages.

    Pour aller plus loin

    Notes et références

    1. Il suffit de rappeler par exemple les études savantes du 17e siècle : des astronomes Kepler, Calvisius et Riccioli, des chronologistes Scaliger, Herwaert, Petau, Usserius, Guillaume Lange, Grandami et Pezron, des critiques Noris, Labbe, Tillemont, Bernard Lami et Noël Alexandre ; celles du 18e siècle : de Thoynard, dom Calmet, Lardner, Tournemine, Magnan, Sanclemente et des académiciens Fréret, Fontenu, la Nauze, la Barre et Gibert, celles du 19e siècle : de Ideler, du Père Patrizzi, du père Mémain et de M. Wallon, sans oublier les innombrables publiées depuis le 20e siècle !
    2. Les citations ci-dessus sont une traduction littérale du Codex Bezae Cantabrigiensis (manuscrit connu sous le sigle D 05).
    3. Date retenue par Suétone pour le décès d’Auguste.
    4. Eusèbe de Césarée résume ainsi son raisonnement : « Jésus Christ souffrit la mort en la 18e année de l'empire de Tibère. Et la preuve se tire du témoignage de saint Jean, dont l'évangile prouve que la prédication de Jésus Christ a duré trois ans depuis la quinzième année de l'empire de Tibère ». Ce fut aussi la conclusion du cardinal Baronius  qui fixe la mort de Jésus « sous le consulat de Gn Domitius Ahenobarbu, et Camillus Scribonianus, en la 18e année de Tibère empereur ».
    5. Vers190-210 dans les Stromates Livre II, comme ceci est rappelé par Migne, Clementis Alex. Opera. 1857, vol. I, col. 882.
    6. Nous verrons plus loin, en examinant les dates possibles de la Passion, que Tertullien et plusieurs auteurs avec lui placent la Crucifixion sous le consulat des deux Geminus, Ruffus et Rubellius, c’est-à-dire en l'an 29 de l’ère chrétienne, considérant donc implicitement que l’an 15 de Tibère correspondait pour eux avec l’an 26 de l’ère chrétienne.
    7. Tacite Annales V et VI.
    8. Patercullus ne mentionne aucune année de règne. Pour situer les évènements, il utilise des expressions comme « l’année suivante », ou « il vécut quatre vingt dix ans », ou « trois ans passèrent ensuite » etc.
    9. Voir à ce sujet l’étude très documentée de L. Dupraz, Autour de l'association de Tibère au principat, 1963. L’auteur  conclut que l’an 12 constitue  incontestablement l’an 1 de Tibère, selon la façon orientale de compter les années de règne. (Il semblerait donc logique que saint Luc, originaire d’Antioche, ait raisonné ainsi, au milieu du premier siècle).
    10. Voir par exemple Flavius Josèphe, Tacite (Annales I, 3), Suétone (Vie des douze Césars, Tibère XXI) ou Dion Cassius (Histoire romaine, LVIII, 27-28)
    11. Les monnaies romaines mentionnent soit les années de puissance tribunitienne, soit le nombre de proclamations comme impérator.
    12. Selon Mischna, Pirké Avot chap. 5, 25, et Rob Bell, Velvet Elvis 2005.
    13. Nombres 4,3 et 4,23.
    14. Saint Irénée, Hérésies II, 22.
    15. Cornelius a Lapide, Le grand commentaire biblique de St Luc chap. 3.
    16. Saint Thomas d’Aquin, Commentaires de l’évangile de saint Jean, § 407 et 408. Voir aussi 1 Rois 6,1 et Origène, Sur saint Jean 10, ch. 38 § 255.
    17. Flavius Josèphe Antiquités judaïques, XV, 14 ; Dion Cassius Histoire romaine LIV,7,4-6 ; Suétone, Auguste, III, 9 ; et Tacite, Annales, II, 13. Voir aussi The Natan Foundation for the Restoration of the Temple, chap. 16, page 225, qui cite des allusions à ces travaux tirées du Talmud de Babylone, Ordre Neziqin, Baba Bathra 3b.
    18. C’est effectivement la conclusion logique qui s’imposa à divers auteurs, tels : Lichtenstein, Biographie de notre Seigneur Jésus Christ dans son aperçu chronologique 1856, page 75 ; Wieseler, Goetlingishe gelerte Anzeigen, 1846, page 166 ; G. Riggenbach Vie du Seigneur Jésus, 1864 page 185, pour n’en citer que quelques uns.