Brigitte de Suède et Maria Valtorta
Dans ses révélations à sainte Brigitte de Suède, Jésus l’appelle "très chère épouse". Ce titre, indicateur de l’union mystique à laquelle elle était parvenue, laisse entrevoir une richesse spirituelle dont ne rend pas compte forcément son autobiographie. Elle fut rédigée par deux de ses confesseurs immédiatement après sa mort. La volonté panégyrique, dans le style de l’époque, a sans doute pris la place de l’approche mystique intime que l’on trouve si bien décrite dans les ouvrages de Maria Valtorta.
On le sait, être l’épouse du Christ a un prix : "Époux crucifié, J’épouse en crucifiant" dit Jésus à Mère Amélie de Gibergues[1]. C’est la marque des âmes "corédemptrices" grâce à qui tant de trésors du Ciel nous devinrent accessibles. Le don de l’œuvre à Maria Valtorta en est l’illustration.
Brigitte de Suède et les autres voyantes
Le parallèle entre les deux voyantes ne tient pas à la valeur historique des visions : chez Brigitte de Suède, elles sont réduites à quelques grands évènements (Nativité, Passion, etc.) et souvent empreintes de traditions apocryphes en vogue à l’époque. Comme Anne-Catherine Emmerich, Brigitte ne les écrit pas elle-même mais les dicte à ses secrétaires confesseurs qui les traduisirent du suédois en latin. Ces intermédiaires furent sans doute préjudiciables à l’intégrité des visions initiales.
Le vrai parallèle nous semble être dans les catéchèses spirituelles pour l’époque. Une époque troublée qui voit la papauté (7 papes, tous français) émigrer en Avignon (1309-1418) laissant Rome en proie à la lutte entre Guelfes et Gibelins. Le relâchement général, comme les troubles politiques, que Brigitte dénonce, ne tarde pas à aboutir au grand schisme d’Occident annonciateur de ceux de la Réforme. C'est à cette époque que surgit Ste Catherine de Sienne (1347-1380), copatronne de l'Europe avec Ste Brigitte et, comme elle, connue pour ses visions et ses conseils aux papes.
Maria Valtorta transmis aussi les conseils du Ciel au pape Pie XII. Les dictées de Jésus à Maria Valtorta interviennent en effet dans une époque politiquement troublée et spirituellement relâchée : le "siècle de Satan" selon la vision qu’eut Léon XIII le 13 octobre 1884[2] . Jésus en faisant don d'une œuvre destinée à renouveler l'annonce de l’Évangile (et non pas d'en annoncer un nouveau) confie à Maria Valtorta qu'il est bâillonné, comme à son époque, par les pharisiens (négation de la miséricorde) et par les sadducéens (négation du surnaturel)[3] L'Église est ici comprise comme l'ensemble des croyants dans leur dimension universelle[4]. Paul VI établira ce douloureux constat le 29 juin 1972 : "Devant la situation de l'Église d'aujourd'hui, nous avons le sentiment que par quelque fissure la fumée de Satan est entrée dans le peuple de Dieu" et il rajoutait : "Nous croyons à l'action de Satan qui s'exerce aujourd'hui dans le monde".
Dans tous ces cas, le Pasteur éternel s’est servi de ses âmes données à Lui pour enseigner, exhorter, redresser, en rappelant les vérités immuables dans ces périodes troublées..
Les visions de Brigitte furent consignées dans 8 livres sous le titre de "Révélations célestes". Longtemps écartées, et donc ignorées, ces révélations ont retrouvé un regain d’intérêt au XIXe siècle. Jean-Paul II, puis Benoît XVI leur ont donné leur pleine valeur (cf. ci-dessous "valeur de ces révélations".
La vie de Brigitte de Suède
Brigitte naît en 1303 dans une famille noble et riche, en Upland, au château de Finstad, non loin d’Uppsala, à l’ouest de la Suède. Elle est fille de Birger Petersson (ou Persson) et sa mère est de souche royale suédoise.
Âgée d'à peine quinze ans, elle est mariée au sénéchal Ulf Gudmarsson issu, comme elle, de la très haute noblesse suédoise. En vingt-huit ans de vie commune, ils ont huit enfants : quatre garçons et quatre filles, dont la future sainte Catherine de Suède (1322-1381). La parenté de Sainte Brigitte de Suède et de son mari avec les familles royale et princières explique qu'ils furent appelés à des fonctions importantes à la Cour auprès du roi et de la reine.
En 1335, elle est en effet appelée par le jeune roi Magnus, âgé de vingt ans et qui vent d'épouser Blanche de Dampierre, comme "intendante" de la cour. Ulf, son mari, est quant à lui, nommé conseiller du jeune roi. Cette position, socialement élevée, nous semble expliquer "l’immunité" dont bénéficia Brigitte de Suède quand, dans ses visions, elle exprima des reproches sur l’impiété des prêtres ou sur la vie mondaine de certains papes. Marie d’Ágreda, correspondant directement avec le roi d’Espagne, bénéficia aussi de la prudente diplomatie des autorités ecclésiastiques face à cette protection.
Les pèlerinages, les révélations et établissement à Rome
En 1341, elle fait, avec son mari Ulf, le pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle. En 1344, Brigitte devient veuve et commence à recevoir du Christ, de la Vierge et des saints, des visions prophétiques et des révélations qu'elle dicta à ses directeurs spirituels. Ces messages, réunis plus tard sous le titre de "Révélations célestes", concernent la Passion du Christ, mais aussi la situation politique et religieuse de son époque, alors très troublée.
C'est dans ce cadre qu'elle fonde, en 1346, l’ordre du Très-Saint Sauveur et pose la première pierre du monastère de Vadstena en Suède où, dès le début, une soixantaine de religieuses se rassemblent.
Sainte Brigitte de Suède souhaitait fonder un monastère double, l’un pour les hommes et l’autre pour les femmes, sous l’autorité unique de l’abbesse assistée d’un prêtre, à la manière de l’Abbaye de Fontevraud en Anjou (France). Mais ce projet n’est pas accepté par le pape Clément VI[5].
En 1349, elle part s'établir à Rome en prévision de l'année jubilaire. Brigitte n'y rencontre pas le Pape, parti s'exiler en Avignon. Une nouvelle révélation lui indique sa mission : ramener le souverain pontife à Rome. Avec des accents rudes, dignes des prophètes de l'Ancien Testament, elle écrit aux Papes successifs pour les rappeler à leur devoir.
En 1367, elle croît aboutir : Urbain V revient à Rome, mais en repart trois ans plus tard.
Beaucoup de lieux d'Italie la virent encore en pèlerinage, désireuse de vénérer les reliques des saints. Elle visita ainsi Milan, Pavie, Assise, Ortone, Bari, Bénévent, Pozzuoli, Naples, Salerne, Amalfi, le Sanctuaire de saint Michel Archange sur le Mont Gargano.
Son dernier pèlerinage, effectué entre 1371 et 1372, peu de temps avant sa mort (1373), l'amena en Terre Sainte,
Mort à Rome et postérité
Sainte Brigitte de Suède meurt à Rome, où elle habitait depuis vingt ans, le 23 juillet 1373 à l'âge de 70 ans, longévité rare au Moyen-âge. Son cercueil, escorté par son fils Burger et sa fille Catherine, fut ramené dans son pays natal, à l’abbaye de Vadstena qu'elle avait fondée près de trente ans auparavant. Elle est canonisée dès 1391 par le pape Boniface IX.
Sainte Brigitte de Suède est particulièrement populaire dans les pays scandinaves, l’Allemagne, la Pologne et la Hongrie. Aujourd’hui encore, 700 ans après leur fondation, les "Brigittines" sont actives à Rome, en Inde et au Mexique.
Valeur de ces révélations
Jean-Paul II a officiellement commenté par trois fois les révélations de Ste Brigitte :
- Le 1 octobre 1999 lors de la proclamation de Ste Brigitte de Suède comme copatronne de l'Europe avec Ste Catherine de Sienne et Ste Thérèse-Bénédicte de la Croix (Édith Stein) par le motu proprio Spes Aedificandi. À cette occasion, il situe la valeur de ses révélations et leur degré de reconnaissance dans un texte qui peut tout à fait s'appliquer à Maria Valtorta :
C'est par le sens profond du mystère du Christ et de l'Église que Brigitte participa à la construction de la communauté ecclésiale, à une période notablement critique de son histoire. Son union intime au Christ s'accompagna en effet de charismes particuliers de révélation qui firent d'elle un point de référence pour beaucoup de personnes de l'Église de son époque. On sent en Brigitte la force de la prophétie. Son ton semble parfois un écho de celui des anciens grands prophètes. Elle parle avec sûreté à des princes et à des papes, révélant les desseins de Dieu sur les événements de l'histoire. Elle n'épargne pas les avertissements sévères même en matière de réforme morale du peuple chrétien et du clergé lui-même (cf. Revelationes, IV, 49; cf. aussi IV, 5). Certains aspects de son extraordinaire production mystique suscitèrent en son temps des interrogations bien compréhensibles, à l'égard desquelles s'opéra le discernement de l'Église; celle-ci renvoya à l'unique révélation publique, qui a sa plénitude dans le Christ et son expression normative dans l'Écriture Sainte. Même les expériences des grands saints, en effet, ne sont pas exemptes des limites qui accompagnent toujours la réception par l'homme de la voix de Dieu. Toutefois, il n'est pas douteux qu'en reconnaissant la sainteté de Brigitte, l'Église, sans pour autant se prononcer sur les diverses révélations, a accueilli l'authenticité globale de son expérience intérieure. Brigitte se présente comme un témoin significatif de la place que peut tenir dans l'Église le charisme vécu en pleine docilité à l'Esprit de Dieu et en totale conformité aux exigences de la communion ecclésiale.En effet l'authenticité d'une révélation privée s'évalue à sa capacité à se centrer sur le Christ et à conduire à l'unique Révélation. Ce que reprendra plus tard Benoît XVI dans son exhortation apostolique post-synodale Verbum Domini § 14, deuxième §. Jean-Paul II n'hésite pas à employer le terme de "révélations", ce que faisait d'ailleurs la liturgie jusqu'à sa réforme de 1962. La fête de Ste Brigitte était alors fixée au 8 octobre et sa collecte[6] était sans ambiguïté : "Seigneur notre Dieu, qui avez révélé à la bienheureuse Brigitte les secrets du ciel par Jésus-Christ votre Fils unique, faites par sa pieuse intercession, que vos serviteurs se réjouissent éternellement dans la manifestation de votre gloire. Par N.S.J.C.". Le bienheureux Dom Guéranger (1805-1875), restaurateur de l’ordre Bénédictin en France et promoteur du Mouvement liturgique, se sert de cet exemple pour rappeler la place et l'importance des révélations privées dans la vie de l'Église[7]. Cependant la fête de Ste Brigitte a été décalée au 23 juillet et les dernières traductions officielles ne parlent plus que de "méditations"[8].
- Le 21 septembre 2002, le pape souligne l'enrichissement spirituel des révélations où "de nombreuses fois, elle apprit de Marie la signification des mystères du Christ" (Message à l'abbesse générale de l'ordre du Très Saint-Sauveur de sainte Brigitte)
- Le 4 octobre 2002, Jean-Paul II souligne à nouveau les qualités de Ste Brigitte qui l'ont amené au co-patronage de l'Europe (Célébration œcuménique des vêpres pour le VII° centenaire de la naissance de sainte Brigitte de Suède)
"À la mort de son mari, Brigitte, après avoir distribué ses biens aux pauvres, tout en ne choisissant jamais la consécration religieuse, s’installa au monastère cistercien d’Alvastra. C’est là que commencèrent les révélations divines, qui l’accompagnèrent pendant tout le reste de sa vie. Celles-ci furent dictées par Brigitte à ses secrétaires-confesseurs [...]Benoît XVI, maîtrisant bien le sujet, ne s'embarrasse pas pour parler de "révélations divines" qu'il sait contextualiser et insérer, avec toutes leur valeur, dans la vie de l'Église.Les Révélations de sainte Brigitte présentent un contenu et un style très variés. Parfois, la révélation se présente sous forme de dialogue entre les Personnes divines, la Vierge, les saints et également les démons; des dialogues dans lesquels Brigitte intervient elle aussi. D’autres fois, en revanche, il s’agit du récit d’une vision particulière; et d’autres encore racontent ce que la Vierge Marie lui révèle à propos de la vie et des mystères de son Fils[9]. La valeur des Révélations de sainte Brigitte, qui fut parfois objet de certains doutes, fut précisée par le vénérable Jean-Paul II dans la Lettre Spes Aedificandi: «En reconnaissant la sainteté de Brigitte, l'Eglise, sans pour autant se prononcer sur les diverses révélations, a accueilli l'authenticité globale de son expérience intérieure» (n. 5).
De fait, en lisant ces Révélations, nous sommes interpellés sur des thèmes importants. Par exemple, on retrouve fréquemment la description, avec des détails très réalistes, de la Passion du Christ, pour laquelle Brigitte eut toujours une dévotion privilégiée, contemplant dans celle-ci l’amour infini de Dieu pour les hommes. Sur les lèvres du Seigneur qui lui parle, elle place avec audace ces paroles émouvantes: «O mes amis, j’aime si tendrement mes brebis, que, s’il était possible, j’aimerais mieux mourir autant de fois pour chacune d’elles de la mort que je souffris pour la rédemption de toutes, que d’en être privé» (Revelationes, Livre I, c. 59). La maternité douloureuse de Marie, qui en fit la Médiatrice et la Mère de miséricorde, est aussi un thème qui revient souvent dans les Révélations.
En recevant ces charismes, Brigitte était consciente d’être la destinataire d’un don de grande prédilection de la part du Seigneur: «Or, vous, ma fille — lisons-nous dans le premier livre des Révélations —, que j'ai choisie pour moi [...] aimez-moi de tout votre cœur [...] mais plus que tout ce qui est au monde» (c. 1). Du reste, Brigitte savait bien, et elle en était fermement convaincue, que chaque charisme est destiné à édifier l’Eglise. C’est précisément pour ce motif qu’un grand nombre de ses révélations étaient adressées, sous formes d’avertissements parfois sévères, aux croyants de son temps, y compris les autorités politiques et religieuses, pour qu’elles vivent de façon cohérente leur vie chrétienne; mais elle faisait toujours cela avec une attitude de respect et en pleine fidélité au Magistère de l’Eglise, en particulier au Successeur de l’apôtre Pierre.
Notes et références
- ↑ Cum Clamore Valido, appel du Rédempteur aux âmes consacrées, texte de la Supplique, Office français du livre, 1943, p.7
- ↑ Le 13 octobre 1884, Léon XIII assiste à un dialogue entre Dieu et Satan. Le diable se vante de détruire l’Église moyennant un surcroît de temps et de puissance. Dieu les lui accorde pour une durée de cent ans. Le pape voit alors le siècle "enveloppé dans les ténèbres et l’abîme", puis une légion de démons dispersés à travers le monde jusqu’à ce que saint Michel archange les chasse dans l’abîme.
- ↑ Rapporté dans Lettres à Mère Teresa Maria, Tome 2, lettre sans date de février 1950, p. 286 : "L'Église d'aujourd'hui ressemble en tous points à l'Église (le Temple, les pharisiens, les sadducéens, etc.) que j'ai moi-même trouvée et que j'ai laissée quand je suis venu sur terre".
- ↑ "L’opprobre de la terre est tel que sa fumée, peu dissemblable de celle qui jaillit de la demeure de Satan, s’élève jusqu’au pied du trône de Dieu dans un élan sacrilège." (Cahiers de 1943, 20 août, p. 240)
- ↑ Les mœurs mondaines de ce pape furent dénoncées en termes explicites dans les visions de Brigitte.
- ↑ Collecte : première des trois oraisons de la messe.
- ↑ Cf. Marie d'Agreda, 5ème article.
- ↑ Traduction A.E.L.F. 23 juillet 2024 : "Seigneur Dieu, tu as conduit sainte Brigitte par divers chemins de vie, et tu lui as enseigné de façon admirable la sagesse de la croix par la contemplation de la passion de ton Fils; accorde à chacun de nous, quel que soit son état de vie, de savoir te chercher en toute chose. Par Jésus..."
- ↑ Cf. Marie d'Agréda.