Parabole du riche et du pauvre Lazare
On retrouve cette opinion dans Maria Valtorta où Jésus conclut: "Cette parabole a un sens si clair qu'il ne faut pas l'expliquer.[2]" Elle n'a pas la structure habituelle en trois parties (annonce du thème, illustration, enseignements), mais une seule: la parabole. Elle a cependant sa pleine justification par le contexte qui la motive: la mort misérable d'un de ses disciples, Jonas, maltraité par un maître particulièrement cruel, Doras.
Les paradoxes soulevés par l'exégèse[modifier | modifier le wikicode]
La singularité de cette parabole a amené l'exégèse à s'interroger sur plusieurs points:
1. Le genre du texte
La description de l'au-delà et du dialogue avec Abraham est si précise que l'exégèse s'est interrogée sur le caractère allégorique ou pas de cette parabole. Le réalisme de la scène est renforcée par les détails concrets sur la richesse, la mendicité, les souffrances post-mortem, La personnalisation (Lazare) rapportée cinq fois, rajoute à ce sentiment et interroge sur ce choix de prénom. Est-ce un détail réaliste ou un choix théologique délibéré ?
2. Le "sein d’Abraham"
Que représente cette expression[3], absente de l’Ancien Testament ? Certains textes rabbiniques (Midrash sur le Cantique des Cantiques) évoquent un lieu de repos pour les justes près d’Abraham, mais sans décrire une géographie de l’au-delà aussi précise. Dans l'extrait de Luc, le sein d’Abraham est opposé à l’Hadès (séjour des morts), le premier est lieu de félicité, l'autre de souffrance. Un gouffre infranchissable les sépare. À quelle réalité cela correspond-il ? L'évangile de Jean parle du "sein du Père"[4]: quel est le rapport ?
3. La nature du jugement
Le riche souffre dès sa mort (verset 23: "Au séjour des morts, il était en proie à la torture"). Il n'est pas fait mention d’un tribunal final. La parabole décrit-elle un état intermédiaire (avant la résurrection des morts) ou le jugement final ? Contrairement à Daniel 12,2 ou Jean 5,28-29, aucun renouveau corporel n’est évoqué. Certains y voient le pendant de l'état de béatitude immédiate du bon larron: "Aujourd’hui, tu seras avec moi en paradis" (Luc 23,43), d’autres une contradiction avec Paul (1 Corinthiens 15,52).
4. La richesse
Le texte ne mentionne aucun péché du riche autre que son insensibilité: "il festoyait somptueusement chaque jour" alors que Lazare désirait "se rassasier des miettes" (Luc 16,19 et 21). Abraham était "extrêmement riche" (Genèse 13,2) et Job est récompensé par la richesse (Job 42,12-13). Pour quel motif est donc condamné le riche ?
5. Le dialogue avec Abraham (v. 24-31) :
Le riche demande à ce que Lazare soulage sa torture (verset 24). Est-ce un signe de repentance ? Il demande aussi à ce qu'il avertisse ses frères (verset 28). Est-il préoccupé par le salut de ses frères ? Il appelle Abraham "père" et celui-ci l'appelle "mon enfant" tout en constatant l'impossibilité de lui porter secours et l'inutilité d'un miracle. La réponse d’Abraham nie‑t‑elle toute conversion après la mort ?
L'approche comparée de Luc et de Maria Valtorta[modifier | modifier le wikicode]
Ni dans Luc, ni dans la vision parallèle de Maria Valtorta, la parabole n'est développée dans ses trois parties. Elle se limite à son illustration, suffisamment explicite pour parler d'elle-même[2]. Cette caractéristique comme la narration particulièrement concrète, trouvent leur explication par le contexte.
Le contexte de la parabole[modifier | modifier le wikicode]
L'épisode se situe au cours du second voyage pascal, dans la plaine d'Esdrelon. Jésus apporte un réconfort moral et matériel aux paysans de deux sanhédristes, parents et voisins. Des maîtres durs qui refusent à leurs serviteurs la participation aux fêtes pascales. Doras, un grand propriétaire à exploité jusqu'à la mort Jonas, un ancien berger de la Nativité réduit par ruse en esclavage. C'est lui le "Lazare" de la parabole[5]. Doras, son maître va jusqu'à tromper, par appât du gain, Jésus qui voulait racheter son disciple. Le maître cruel meurt à son tour. Son fils, Doras de Doras ainsi que son voisin le scribe Giocana (Yokhanan) ben Zacchaï continuent à traiter durement leurs serviteurs.
Cette situation est la toile de fond de la parabole qui parle d'elle-même aux exploités qui l'écoute. Elle donne, à travers eux, toute sa dimension sur le terrible destin de ceux qui accaparent à leur seul profit les richesses et la vie des hommes.
Luc place cette parabole en dernière des trois paraboles sur la richesse[6], mais dans Maria Valtorta elle est placée au tout début. Connue des disciples, ancrée dans une réalité vécue et violente, elle sera une référence pour les enseignements futurs sur la richesse et ses dangers[7].
Les péchés du riche[modifier | modifier le wikicode]
Maria Valtorta insiste sur la dimension systémique de la faute du riche, qui ne se limite pas à l’indifférence, mais incarne une perversion active des dons reçus. Le riche[8] institue un système où la richesse sert à nier l’humanité d’autrui (Lazare est traité pire que ses chiens).
Son amour de l'argent (Mammon) est devenu idolâtrie de la richesse. Il est gagné par l'orgueil: Il "se pavanait dans ses habits de pourpre", les courtisans "flattaient son orgueil", il était "le plus puissant du pays"[9]. Le riche en vient à mépriser Dieu et les autres
Sa richesse est devenue avarice: il refuse de partager même les restes et chasse Lazare pour "ne pas gâcher" l’image de ses festins. "La vue de la misère et de la bonté de Lazare était pour lui un reproche continuel[9]."
Ses "banquets renommés pour l’abondance", ses "pompeux banquets servis dans les salles richissimes", sont un gaspillage tandis que Lazare meurt de faim. "Il le faisait chasser" probablement avec violence[9].
Sa richesse l'a conduit, par paresse spirituelle, au motif de sa damnation: "Il n’a jamais compris l’amour" même familial[10].
La sainteté du pauvre Lazare[modifier | modifier le wikicode]
Dans sa vie socialement miséreuse, Lazare développe la force de sa sainteté."Sous la croûte de la misère humaine du mendiant Lazare était caché un trésor encore plus grand que la misère de Lazare et que la richesse du mauvais riche. Et c'était la sainteté vraie de Lazare. Il n'avait jamais transgressé la Loi, même par besoin et surtout il avait obéi au commandement de l'amour de Dieu et du prochain[9].Il illustre cette puissance paradoxale que Paul manifestera plus tard dans son hymne à l'amour : Lazare "supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout[11]."
"Lui, comme font toujours les pauvres, se tenait à la porte des riches pour demander l'obole et ne pas mourir de faim. Et il allait chaque soir à la porte du mauvais riche dans l'espoir d'avoir au moins des restes des pompeux banquets servis dans les salles richissimes. Il s'allongeait sur le chemin près de la porte et attendait patiemment[9]."Il ne tire sa joie humaine que dans la compagnie des chiens qui lui apportent affection et nourriture que le riche lui refuse.
La félicité et la damnation[modifier | modifier le wikicode]
Les deux protagonistes de la parabole meurent successivement: d'abord Lazare, puis le riche. Luc 16,22 met en exergue la mort bienheureuse de Lazare: "le pauvre mourut, et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut aussi, et on l’enterra." Elle correspond effectivement, dans l'œuvre de Maria Valtorta, à la mort de Jonas dans les bras de Jésus[12]. Mais dans cette vision, le contraste est accentué entre les funérailles humaines et le destin éternel. La félicité dans le sein d'Abraham pour Lazare, après une vie de misère et une mort anonyme: "Personne ne s'en aperçut sur la terre, personne ne le pleura[13]." L'enfer pour le riche après une vie de bombance et des funérailles grandioses: "Oh ! quelles funérailles fastueuses ! Toute la ville, déjà informée de son agonie et qui se pressait sur la place où s'élevait sa demeure pour se faire remarquer comme amie du personnage[13]".
Mais le jugement tombe: "L'apologie humaine peut-elle changer ce qui est écrit dans le livre de la Vie ? Non, elle ne le peut. Ce qui est jugé est jugé, et ce qui est écrit est écrit. Et malgré ses funérailles solennelles, le mauvais riche eut l'esprit enseveli dans l'enfer[13]."
La rétribution immédiate[modifier | modifier le wikicode]
Dans Luc 16,24 le riche "souffre terriblement dans cette fournaise". Elle devient un "lieu de torture" en Luc 16,28. Maria Valtorta va plus loin dans les précisions: ce lieu est l'Enfer éternel avec les souffrances qu'on y subit. Le riche est plongé "dans cette horrible prison, buvant et mangeant le feu et les ténèbres, trouvant haine et torture de tous côtés et à tout instant de cette éternité." Il souffre affreusement dans cette flamme qui le pénètre sans arrêt et le brûle[14].
Plongé dans la Haine, il comprend ce qu'est l'amour. Non comme un désir de conversion, désormais impossible, mais comme conscience de la perte du "Ciel qu'il avait vu dans une lueur fulgurante, pendant un atome de minute et dont la beauté indicible qui lui restait présente était un tourment parmi les tourments atroces[13]."
Il ne voit pas le Paradis mais les Limbes de Justes, car au moment de la parabole "les enfers" n'ont pas été ouverts par la Résurrection[15]. C'est le "sein d'Abraham" qui deviendra le "sein du Père"[16] par la Rédemption.
Jésus précise que c'est "l'âme" de Lazare qui a rejoint le "sein d'Abraham". C'est aussi "l'âme" du mauvais riche qui est torturée. Maria Valtorta introduit donc une distinction entre le Jugement particulier et le Jugement dernier. Dès la mort, chacun reçoit sa rétribution pour l'éternité en son âme immortelle. Elle sera rejointe par le corps au moment de leur résurrection: glorieux pour les justes, difforme pour les damnés[17].
L'amour et la haine[modifier | modifier le wikicode]
Dans la vision de Maria Valtorta, la parabole du riche et de Lazare conserve toute sa portée évangélique tout en l’enracinant dans un contexte concret et dramatique qui alerte sur les conséquences de l’injustice sociale et de l’endurcissement spirituel. Les biens matériels sont au service de l’amour: "celui qui n'aime pas Dieu et son prochain va en enfer" a compris le mauvais riche plongé dans son enfer[18]. Aussi, lorsque ces biens matériels deviennent instruments d’orgueil, d’avarice ou d’indifférence, ils ferment le cœur à la grâce et conduisent à la perdition (cf. Jacques 5,1-5).
Cette parabole, comme celle de l'intendant malhonnête, illustre l’injonction de Jésus: "Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent" (Luc 16,13). Mais elle rajoute un avertissement très présent dans la vision de Maria Valtorta: le temps de la miséricorde est maintenant , il n’y a pas de "seconde chance" après la mort – d’où l’urgence d’agir ici et maintenant.
Le récit se suffit à lui-même car il s’adresse à des victimes qui savent ce qu’est l’oppression - et, à travers elles, à tout ceux qui vivent (ou causent) ces situations. Mais si l’enseignement qui suit habituellement les paraboles va de soi, la directive spirituelle, implicite chez Luc, devient explicite dans Maria Valtorta."Je voudrais pouvoir vous venir en aide à tous, même matériellement, mais je ne puis, et j'en souffre. Je ne peux que vous montrer le Ciel. Je ne peux que vous enseigner la grande sagesse de la résignation en vous promettant le futur Royaume. N'ayez jamais de haine, pour aucune raison. La Haine est puissante dans le monde, mais la Haine a toujours une limite. L'Amour n'a pas de limite pour sa puissance ni dans le temps. Aimez donc, pour que l'Amour vous défende et vous réconforte sur la terre et vous récompense au Ciel. Il vaut mieux être Lazare que le mauvais riche, croyez-le. Arrivez à le croire et vous serez bienheureux[5]."Et commentant la malédiction qu’il avait prononcé contre les champs de Doras coupable d’une tromperie envers Jésus ayant conduit à la mort par épuisement de Jonas le serviteur[19], il commente :
"Ne voyez pas dans le châtiment qu'ont subi ces champs une parole de haine, même si les faits pouvaient justifier cette haine. N'interprétez pas mal le miracle. Je suis l'Amour et je n'aurais pas frappé. Mais puisque l'Amour ne pouvait faire plier le riche cruel, je l'ai abandonné à la Justice et elle a exercé la vengeance du martyre de Jonas et de ses frères. Quant à vous, tirez l'enseignement de ce miracle : la Justice est toujours en éveil, même si elle paraît absente et Dieu, étant le Maître de toute la création, peut se servir, pour l'exercer, des êtres les plus petits comme les chenilles et les fourmis pour mordre le cœur de celui qui fut cruel et avide et le faire mourir en vomissant le poison qui l'étrangle[5]."C’est en effet ainsi que Doras était mort, préfigurant sa mort éternelle[20].
Notes et références[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Saint Augustin | Tertullien
- ↑ 2,0 et 2,1 EMV 191.7.
- ↑ Luc 16,22-23. Parfois traduite par des expressions approchantes.
- ↑ Jean 1,18.
- ↑ 5,0 5,1 et 5,2 EMV 191.8.
- ↑ Le riche insensé (Luc 12,16-21 - EMV 276.6) celle de l'intendant malhonnête et celle du riche et du pauvre Lazare qui la suit (Luc 16,19-31)
- ↑ Cf. Matthieu 19,24: "Je vous le répète : il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des Cieux."
- ↑ Dans sa dictée du 2 août 1943, Jésus qualifie ce mauvais riche d'Épulon, nom des prêtres chargés de l'organisation des banquets dans la Rome antique. L'italien reprend ce mot (Epulone) comme synonyme équivalent de mauvais riche.
- ↑ 9,0 9,1 9,2 9,3 et 9,4 EMV 191.5.
- ↑ EMV 191.7.
- ↑ 1 Corinthiens 13,7.
- ↑ EMV 109.15.
- ↑ 13,0 13,1 13,2 et 13,3 EMV 191.6.
- ↑ Maria Valtorta n'a pas la vision de l'Enfer. C'est Jésus qui le lui décrit, le 15 janvier 1944, en un tableau glaçant.
- ↑ Cf. Le Credo (symbole des apôtres).
- ↑ Jean 1,18.
- ↑ La vision de la résurrection finale en vue du Jugement Dernier est donnée à Maria Valtorta le 29 janvier 1944. Cette vision suivait de peu celle du Purgatoire et de l'Enfer (15 janvier 1944).
- ↑ EMV 191.7. En référence à Matthieu 7,21-23 | Matthieu 13,49-50 | Matthieu 25,41-46 | Luc 10,25-28 | Romains 13,8-10 | 2 Thessaloniciens 1,8-9 | Jacques 2,14-17 | 1 Jean 3,14-15 | 1 Jean 4,20-21 | etc.
- ↑ EMV 109.10.
- ↑ EMV 126.10.