Le sabbat second-premier
L’épisode des épis arrachés par les apôtres affamés est rapporté par Matthieu 12,1-8, Marc 2,23-28 et Luc 6,1-5. Dans la Vulgate originelle, Luc mentionne un détail qui lui est propre : "Le sabbat second premier[1]". Cette mention a disparu rapidement des bibles catholiques tant elle semblait anecdotique, incompréhensible et obscure. Seules les bibles protestantes l'ont conservée sans vraiment l’expliciter.
- Vulgate Clémentine (catholique - 1592) : Factum est autem in sabbato secundo, primo, cum transiret per sata
- Bible Louis Segond (protestante - 1910) : Il arriva, un jour de sabbat appelé second-premier, que Jésus traversait des champs de blé
- Bible Crampon (catholique - 1923) : Il arriva, un jour de sabbat, qu'il traversait des moissons
- AELF (catholique - 2013) : Un jour de sabbat, Jésus traversait des champs
Peut-être cette courte mention n’était-elle pas essentielle, mais l’Écriture s’en est trouvée amputée d’un détail voulu pourtant par l’évangéliste. Ce n'est pas le seul passage où la Nova Vulgata de 1979 a amputé les éditions précédentes sur la foi des spécialistes.
Maria Valtorta n'était pas spécialiste, d'autant moins qu'elle n'a eu sa première Bible qu'au début des visions, en 1942, dans une édition populaire. Auparavant elle n'avait que l'Evangile qu'elle connaissait par cœur. Le passage dont on parle en fait partie. Sa vision confirme la pertinence des éditions antérieures de la Vulgate et permet d'expliquer cette mention énigmatique.
La mention perdue est retrouvée dans Maria Valtorta
Maria Valtorta ne rapporte que ce qu'elle voit et entend. Elle n'explicite nullement ce qu'elle transcrit à la manière d'un spécialiste. C'est Jean-François Lavère qui en étudiant l'épisode, s'est aperçu que le "sabbat-second-premier" s'expliquait tout naturellement. Il a formulé son hypothèse dans un de ses ouvrages[2]"Le sabbat «second premier». Maria Valtorta ne donne pas d'explication directe à la formule de Luc, "un sabbat second premier" (Luc 6,1) qui intrigue tant les biblistes depuis vingt siècles. Saint Jérôme rapporte qu'ayant interrogé à ce sujet Grégoire de Naziance, il lui avoua "qu'il n'avait rien à répondre qui put le satisfaire". Cette expression sabbat second premier semble indiquer un moment précis de l'année liturgique, et beaucoup ont pensé que c'était en relation avec la Pâque. Mais alors pourquoi pas avec la Pâque supplémentaire ? La chronologie valtortienne semble fournir un indice déterminant : d'après les descriptions de la mystique, cet épisode des épis volés se déroule sans conteste le samedi 6 mai 28, soit deux semaines avant la Pentecôte (ou la fête des moissons, aussi appelée fête des Semaines - Chavouoth), et qui eut lieu le samedi 20 mai cette année-là. Or ce samedi 6 mai 28 se trouve être le premier sabbat après la seconde Pâque. Pour ma part l'interprétation s'impose donc ici d'évidence. Mais laissons aux exégètes le soin d'en discuter et de conclure..."L’explication semble effectivement d'évidence. semble. En voilà les raisons.
Les raisons qui valident l’hypothèse
- 1 – L’hypothèse est fondée par les Écritures : la seconde Pâque (Pessa'h Sheni - פסח שני) est effectivement codifiée par le livre des Nombres 9,10-12[3] :
"Parle aux fils d’Israël. Tu diras : Quiconque, parmi vous ou dans les générations futures, sera rendu impur par le contact d’un mort, ou se trouvera en voyage au loin, célébrera néanmoins la Pâque pour le Seigneur. C’est le deuxième mois qu’ils la célébreront, le quatorzième jour, au coucher du soleil."
- 2 – Elle est fondée liturgiquement : avec Shavouot (Pentecôte - חג השבועות) et Soukkot (fête des Tentes – סוכות), Pâque (Pessah - פסח) est l’une des trois fêtes de pèlerinage des juifs au Temple de Jérusalem et la première d’entre elles (Cf. Exode 23,14-17 et Deutéronome 16,1-16).
- 3 – Elle est fondée historiquement : avec la destruction du Temple en l’an 70, la seconde Pâque tomba logiquement en désuétude, si bien qu’au IVe siècle, quand Jérôme de Stridon (347-420) interroge son maître Grégoire de Naziance (329-390), celui-ci répond, par une boutade, qu’il n’en sait rien, comme le rappelle Jean-François Lavère dans son article :
"Je demandais un jour, écrit Jérôme, à Grégoire de Naziance, qui était mon maître, ce que voulait dire saint Luc par ces paroles : "Une fête seconde première." — "Je vous l'apprendrai à l'église," me répliqua-t-il en se raillant; "car parmi les acclamations de tout le monde si vous demeurez seul dans le silence, au moins vous passerez seul pour un ignorant." Il est en effet très aisé de surprendre par une facilité de langage un peuple simple qui admire ce qu'il n'entend point[4].
- 4 – Elle est fondée intellectuellement : de nombreuses hypothèses ont effectivement fleuri pour tenter d’expliquer l’incompréhensible "sabbat second premier". Elles s’appuient presque toutes sur une explication qui n’est pas cohérente avec la liturgie hébraïque ou son calendrier, les seuls qui avaient court au moment où se déroule cet épisode.
- 5 – Elle fait appel à une appellation liturgique conforme aux usages des grandes religions. Nous connaissons ainsi "le troisième dimanche après Pâques". Ici, l’appellation liturgique désigne le premier sabbat après la seconde Pâque.
- 6 – Le calendrier concorde : la seconde Pâque se déroulait généralement en mai, ce qui est le cas ici (6 mai 28).
- 7 - La scène s’inscrit parfaitement dans l’hypothèse. Cinq semaines la séparent de Pâque et il reste deux semaines avant la fête des moissons (Shavouot ou Pentecôte). Ceci explique que les blés soient encore sur pied, mais suffisamment mûrs pour être mangés.
D’autres détails fondent l’authenticité de la scène
- Si les apôtres sont affamés, c’est qu’ils sont chassés de partout contre le devoir d’hospitalité régnant en Palestine[5]. Malgré les pharisiens qui les chassent, les apôtres auraient dû trouver l’hospitalité populaire. Mais Maria Valtorta explique pourquoi ce n’est pas le cas. La scène se déroule en pays philistin où règne une hostilité viscérale depuis les guerres où s’affrontèrent le juif David et le philistin Goliath et où le juif Samson fut trahi par Dalila soudoyée par les Philistins, peuple désormais vaincu et soumis.
- D’autre part, on ne peut que remarquer le dialogue qui oppose Jésus aux pharisiens (EMV 217.3). Il est criant de vérité pour ceux qui ont eu à affronter, de bonne foi, un argumentaire de mauvaise foi. C’est la terrible dialectique de Satan contre laquelle ne peut lutter que Dieu dit Jésus dans un autre écrit de Maria Valtorta[6]. C’est pourquoi Jésus n’oppose aux accusations de vol et de viol du Sabbat que sa divinité : Jésus, miséricordieux, est maître du Sabbat et de la Création.
Conclusion
Certes, il s'agit d'un détail, mais il fait partie des multiples iota voulus par l’Esprit qui présida aux Évangiles. Les visions de Maria Valtorta ont permis de restaurer un pan de la Révélation publique, éraflé par le temps. Elles en soulignent l'historicité et la véracité, ce à quoi tenait Luc.
Cela confirme, une fois de plus, que la vocation des visions reçues par Maria Valtorta est bien de confirmer l’Évangile éternel afin qu’aucun de ces détails de l’Écriture ne soient omis. C’est ce que rappelle Jésus en conclusion de l’œuvre.
Pie XII, dans son encyclique Divino afflante spiritu sur les études bibliques du 30 septembre 1943 § 26 rappelait d'une certaine manière, l'utilité des petits détails :"C'est pourquoi l'autorité de la Vulgate en matière de doctrine n'empêche donc nullement – aujourd'hui elle le demanderait plutôt – que cette doctrine soit encore justifiée et confirmée par les textes originaux eux-mêmes et que ces textes soient appelés couramment à l'aide pour mieux expliquer et manifester le sens exact des Saintes Lettres".
Notes et références
- ↑ Luc 6,1 : "in sabbato secundoprimo".
- ↑ L’énigme Valtorta, Tome 2, page 206.
- ↑ Il est question de la seconde Pâque en EMV 566.17.
- ↑ Jérôme de Stridon, Traité des devoirs des prêtres et des obligations des solitaires, partie 1, à Népotien.
- ↑ Voir l’exemple d’Abraham accueillant les voyageurs (Genèse 18,2-5) ou la prescription d’Isaïe 58,7).
- ↑ Voir EMV 46.14.