Abolition de l'Index des livres prohibés
"LA CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOILes conditions culturelles, sociales et politiques contemporaines en évolution ont conduit les Pères du Concile Vatican II à soutenir la nécessité d’une mise à jour des dicastères de la Curie romaine. Cette nécessité a été particulièrement mise en avant dans le décret Christus Dominus du 28 octobre 1965, qui exprimait le souhait d’une nouvelle réforme générale de tout l’appareil curial. La réforme de la Curie avait d’ailleurs été l’un des premiers objectifs de Paul VI, annoncé dès le début de son pontificat dans le célèbre discours adressé aux membres de la Curie le 21 septembre 1963 {it}. Il y déclarait notamment : "De nombreuses années ont passé ; il est compréhensible que cet organisme soit alourdi par son âge vénérable, qu’il souffre d’un décalage entre ses structures et ses pratiques d’une part, et les besoins et usages des temps nouveaux d’autre part. Il ressent à la fois le besoin de se simplifier, de se décentraliser, mais aussi de s’élargir et de s’adapter à de nouvelles fonctions."
Alors qu’une Commission spéciale de cardinaux travaillait à ce projet, Paul VI l’a anticipé en réformant le dicastère le plus prestigieux et controversé de la Curie romaine, à savoir la Suprême Sacrée Congrégation du Saint-Office. Cette réforme a été menée à bien grâce au motu proprio Integrae servandae, promulgué le 7 décembre 1965, à la veille de la clôture du Concile [...].
La reconnaissance du droit de défense, garantie à tous les auteurs "accusés", constitue l’une des innovations les plus importantes introduites par le motu proprio Integrae servandae. Ce document a ainsi permis d’éliminer définitivement l’une des critiques majeures adressées au Saint-Office, à savoir l’impossibilité pour tout auteur d’œuvres examinées par le dicastère de se défendre, notamment en cas de risque d’inscription à l’Index. Il convient de noter que l’Index, désormais aboli, n’est plus mentionné dans le motu proprio de Paul VI.
Bien que de nombreuses questions aient été posées par plusieurs évêques sur le sort de l’Index, le cardinal Alfredo Ottaviani, Pro-préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a publié, le 14 juin 1966, de nouvelles dispositions pour la protection de la foi et de la morale dans les publications de presse, sous la forme d’une Notification spéciale. Dans cette Notification, il était précisé que, bien que l’Index n’ait plus de valeur juridique en tant que loi ecclésiastique assortie de sanctions, il conservait néanmoins une pleine valeur morale. En effet, il rappelait à chaque conscience chrétienne le devoir, fondé sur le droit naturel lui-même, de s’abstenir de lire des livres nuisibles à la foi et aux mœurs.
La même Congrégation devait donc signaler ces ouvrages dans un bulletin spécial intitulé Nuntius, publié au début de l’année 1967, mais dont la publication fut rapidement interrompue. Ce bulletin avait pour but d’aider les prêtres et les fidèles à évaluer ces livres et, le cas échéant, à les éviter. Par ailleurs, par un décret du 15 novembre 1966, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi précisa que les canons 1399 (liste des livres interdits) et 2318 (excommunication des auteurs, éditeurs, lecteurs et détenteurs de certaines catégories particulières de livres) du Codex iuris canonici de 1917 étaient également abrogés.
Déjà en 1908, l’appellation originelle de Sacrée Inquisition Romaine et Universelle avait été abandonnée, car elle était trop liée au souvenir de rigueurs anciennes, jugées excessives et mal perçues. La nouvelle dénomination de Congrégation pour la Doctrine de la Foi, adoptée en 1965 et mieux adaptée à ses fonctions actuelles, remplaçait également celle de Sacrée Congrégation du Saint-Office, qui avait toutefois désigné ce dicastère tout au long de ses quatre siècles d’existence. Dans le même temps, le titre de « Suprême », qui soulignait sa prééminence – devenue ces derniers temps purement honorifique – sur tous les autres organes curiaux, fut également supprimé.
Avec le changement de nom, les fonctions propres du dicastère ont également subi une profonde transformation. Elles se concentrent désormais sur la promotion et la préservation de la foi, plutôt que sur la poursuite des hérésies ou la répression des délits contre celle-ci. Par ailleurs, la compétence en matière de dispenses pour les empêchements liés à la religion mixte et à la disparité de culte a été retirée de sa juridiction.
Des modifications ont également été apportées à la composition même du dicastère : le poste de commissaire, accompagné de ses deux assistants, a été supprimé. Avec eux, l’ensemble de la catégorie des « qualificateurs » a également été aboli.
Les dispositions établies par le motu proprio de 1965 ont été intégralement intégrées à la réforme générale de la Curie romaine, réalisée par Paul VI à travers la constitution Regimini Ecclesiae universae {it} du 15 août 1967. Quelques nouveautés ont été introduites par la suite. Parmi celles-ci, on note particulièrement la décision concernant la préfecture du dicastère, qui n’est plus réservée au Pape, mais confiée, avec tous les pouvoirs correspondants, à un cardinal, comme dans les autres Congrégations romaines. De plus, des évêques diocésains ont été intégrés à sa direction en tant que membres de plein droit, conformément au motu proprio Pro comperto sane {it} du 6 août 1967.
La mission principale de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi reste de promouvoir et de protéger la doctrine concernant la foi et les mœurs dans l’ensemble du monde catholique."
Les raisons de l'abolition
On a parfois présenté cette suppression comme une décision purement pragmatique : trop de publications à examiner[1], mais il en est tout autrement dans cet exposé des motifs qui pointe :
- L'obsolescence de la procédure et de l'Institution.
- La suppression totale des "condamnations" passées qui ne deviennent plus que des avertissements à la conscience. Ce que l'on retrouvera exprimé plus tard dans le Catéchisme de l'Église catholique § 67 : "Guidé par le Magistère de l’Église, le sens des fidèles sait discerner et accueillir ce qui dans ces révélations constitue un appel authentique du Christ ou de ses saints à l’Église." Le fidèle éclairé est donc apte à juger, par lui-même et pour lui-même, "l'appel authentique du Christ" contenu dans les révélations privées.
- La réorientation de la mission vers "la promotion et la préservation de la foi, plutôt que sur la poursuite des hérésies ou la répression des délits contre celle-ci". Autrement dit le passage de l'ère des censeurs qui interdisent et condamnent à celle des pasteurs qui éclairent et éduquent.
- La réprobation des abus, notamment celle du pouvoir discrétionnaire qui s'apparentait plus à celui des états totalitaires de l'époque qu'à celui attendu de l'Église. Integrae Servandae prenait déjà le soin de corriger ce point qui s'applique parfaitement au cas de Maria Valtorta[2].
- L'abolition de la place prépondérante de la "Suprême" qui devient un Dicastère comme tous les autres.
Les mœurs du Saint-Office, selon les déclarations du cardinal Josef Frings en séance publique, étaient devenues "objet de scandale"[3]. Un jugement largement partagé par les Pères conciliaires si on en croit le tonnerre d'applaudissements qui suivirent cette déclaration[4]. Cet échange du 8 novembre 1963 est souvent considéré comme l'un des plus intenses du concile. Dans son article, Martine Sevegrand constate aussi : "Mais au Concile, dès la première session, Ottaviani put constater qu’il suscitait une franche hostilité. Ainsi, quand, dépassant les dix minutes imparties à chaque orateur, le président de séance lui coupa le micro, des évêques applaudirent ; du coup, le cardinal boycotta le Concile pendant deux semaines."
Implications dans le cas Maria Valtorta
- La mise à l'Index de l'œuvre de Maria Valtorta est une donnée historique qui ne peut lui être opposée comme actuelle et permanente : "L’Index n’a plus force de loi ecclésiastique avec les censures qui y sont attachées"[5]. Les deux seules pièces officielles que les autorités ecclésiastiques opposent sont la mise à l'Index (1959/1960) et son abolition (1966). Ce sont les seules à figurer dans les Actes officiels du Saint-Siège (A.A.S.)
- La "valeur morale", qui demeure, s'adresse à la conscience des fidèles (que l'Église estime "mûre"[5] dans la mesure où elle est éclairée[6]) pour "se garder contre les écrits qui peuvent mettre en danger la foi et les bonnes mœurs". Sur ce point le Père Giandomenico Mucci "l'un des écrivains les plus prestigieux de La Civiltà Cattolica[7]" répondit à un lecteur qui l'interrogeait sur ce sujet :
"Puisqu’il est clair que les livres de Maria Valtorta non seulement ne constituent pas un danger pour votre foi, mais la renforcent plutôt, et que, dans cette lecture, votre conscience est sereine aussi à cause du réconfort des témoignages faisant autorité que vous avez cités, il me semble que vous pouvez continuer votre lecture sans céder aux doutes ou aux scrupules ou, encore moins, aux désaccords que certains savants expriment sur l’œuvre de Maria Valtorta."
- La "valeur morale" s'applique exclusivement aux motifs qui présidèrent à sa mise à l'Index. Ils sont expressément mentionnés dans l'article de l'Osservatore Romano : défaut d'imprimatur préalable (qui est absous et n'est plus d'actualité depuis 1975). Aucune erreur dogmatique ou historique n'a pu être retenue et l'avis sur la nature "mal romancée" de la vie de Jésus de Maria Valtorta, n'a pas à être opposée puisque le jugement sur la qualité littéraire d'un ouvrage n'est pas dans les missions de l'Eglise.
- L'origine surnaturelle ou pas est réservée au Souverain Pontife selon les nouvelles normes éditées en 2024. Quant à la licité ou non de sa lecture, elle n'a fait l'objet, à ce jour, que d'avertissement demandant d'en faire une lecture personnelle et prudentielle (comme toutes les révélations privées) mais elle n'a pas été statuée, ce qui le serait après enquête.
- L'œuvre a cependant fait l'objet de plusieurs avis d'autorité qui contribuent à éclairer la conscience des lecteurs, juge ultime en la matière.
Le 21 novembre 1948, alors que j’ignorais encore que le Saint-Office avait pris cette affaire en main, l’arrachant aux mains et au jugement de Son Excellence l’Évêque de Sora et de son Réviseur, Monseigneur Lattanzi, il fut dit que "l’on arracherait à leur tour les choses auxquelles ils tenaient le plus à ceux qui ne Le servaient pas, et qu’un jour viendrait où moi et tous connaîtrions les actions de beaucoup." Cet avertissement fut répété le 18 février 1949 et à nouveau le 22 février, alors que j’étais encore dans l’ignorance de la sanction déjà prononcée. L’avertissement se fit de plus en plus explicite et ferme.[8]"
Notes et références
- ↑ Même à l'époque, la censure n'avait pas pour fonction d'examiner tous les livres édités dans toutes les langues, mais seulement ceux qui lui étaient signalés. Pour le cas de Maria Valtorta on ne sait pas encore qui a demandé la censure et pour quel motif exactement. Officialisée en 1559 sous le pape Paul IV cette procédure fut abolie en 1966 par Paul VI. En 407 ans d'existence 4.000 titres environ furent mis à l'Index. Le dernier catalogue (le 32ème) a été mis à jour en 1948.
- ↑ 5. Elle [la congrégation] examine avec soin les livres qu’on lui signale et, s’il le faut, elle les condamne, mais, après avoir entendu l’auteur, en lui donnant la possibilité de se défendre, même par écrit, et après avoir prévenu son Ordinaire, comme cela était déjà prévu dans la Constitution Sollicita ac provida {la} de Notre prédécesseur Benoît XIV (Lambertini), d’heureuse mémoire.
- ↑ Martine Sevegrand, Le cardinal Ottaviani victime du Concile | "60 years ago: Cardinal Frings angrily attacks the Roman Curia" {en}.
- ↑ Le théologien de Mgr Frings (Peritus) était le P. Josef Ratzinger. Il avait rédigé en grande partie le discours.
- ↑ 5,0 et 5,1 Cf. Notification sur la suppression de l'index des livres interdits.
- ↑ Déjà cité : Catéchisme de l'Église catholique § 67 : "Guidé par le Magistère de l’Église, le sens des fidèles sait discerner et accueillir ce qui dans ces révélations constitue un appel authentique du Christ ou de ses saints à l’Église."
- ↑ Faro di Roma, 26 novembre 2020, Addio a padre Mucci il gesuita più diplomatico della Civiltà Cattolica {it}.
- ↑ Lettere a Mons. Carinci, faits rapportés par Maria Valtorta dans sa lettre du 24 juillet 1950.