Dictionnaire de spiritualité : Maria Valtorta
Le Dictionnaire de Spiritualité Ascétique et Mystique, édité par Beauchesne, est une œuvre monumentale de référence en théologie spirituelle et mystique. Conçu sous la direction de grands théologiens il a été publié entre 1932 et 1995, rassemblant 17 volumes en 20 tomes. Chaque article s’appuie sur une documentation rigoureuse, mêlant sources historiques, bibliques et théologiques, souvent avec des références précises et détaillées. Les auteurs sont des experts dans leur domaine.
Dans ce cadre, Jean-Marie Le Maire a rédigé l’article sur "VALTORTA (MARIE), laïque, 1897-1961" (Tome 16, colonne 220). Cet article de référence a inspiré le Père Maxrer qui reprend une grande partie des informations qu’il contient et l’encyclopédie Wikipédia, édition française qui s’y réfère. Il convient donc de relever les inexactitudes contenues dans l’article source de Jean-Marie Le Maire.
Les inexactitudes[modifier | modifier le wikicode]
"En 1921, elle commence à expérimenter d'étranges phénomènes psychiques."[modifier | modifier le wikicode]
À cette date, le seul fait marquant qu'elle relate dans son Autobiographie c'est la rupture avec Mario, un amour dont elle fut séparée par sa mère qui lui fit parvenir une correspondance dont Maria ne connut pas le contenu, seulement le résultat : la rupture et l'ancien fiancé parti noyer son chagrin avec des filles légères[1]. La seule étrangeté à cette époque semble venir de sa mère qui consulta un médium et voulut faire porter à sa fille un talisman qu'elle refusa catégoriquement[2].
Ce n'est qu'au Carême 1922 que Maria Valtorta découvre l'Évangile de Luc. Elle ne connaissait des Évangiles que ce qu'on en lisait aux messes basses, les seules que lui autorisait sa mère. Elle s'enflamme et achète avec ses économies les quatre évangiles et l'Histoire d'une âme de Thérèse de Lisieux. Des lectures qui la poussera à prononcer, en 1925, son acte d'offrande à l'Amour miséricordieux et que commenceront à se manifester les souffrances et les grâces demandées, ce qui, en mystique, n'est en rien "étrange".
"ayant gardé le lit depuis 1943"[modifier | modifier le wikicode]
Maria Valtorta fut grabataire totale du 1er avril 1934 (jour de Pâques)[3] au 12 octobre 1961, jour de sa mort, soit 27 ans. La date de 1943, indiquée par Jean-Marie Le Maire, est celle du début des visions (22 avril) qui n'est d'ailleurs qu'une vision mystique. Les vraies visions constitutives de l'Évangile tel qu'il m'a été révélé (Il Poema dell'Uomo-Dio), ne commenceront que le 16 janvier 1944.
"Maria lut beaucoup de mystiques : Catherine de Sienne, à laquelle sera emprunté le thème du sang"[modifier | modifier le wikicode]
Maria Valtorta lut en effet beaucoup d'écrits mystiques, Catherine de Sienne n'est citée que quatre fois dans son Autobiographie sans qu'on puisse déduire qu'il y ait eu emprunt. Les mystiques auxquels Maria Valtorta dit se référer principalement sont : St Paul, St François d'Assise, Ruysbroeck, Thérèse de Lisieux qui inspira fortement sa vocation victimale, Sœur Maria-Gabriella Sagheddu, sœur B. Consolata Ferrero, Il est donc très interprétatif de mettre une filiation avec Catherine de Sienne.
Jean-Marie Le Maire cite saint Jean de la Croix et de sainte Thérèse d’Avila, deux docteurs de l'Église, comme ayant influencé la spiritualité de Maria Valtorta : c'est excessif. Parlant du Cantique de cantiques, elle écrit : "J’ai lu plus tard les pages ardentes de saint Jean de la Croix et de sainte Thérèse d’Avila et j’y ai trouvé une résonnance plus adéquate, mais toujours moins virulente que le sentiment que j’avais éprouvé. J’ai compris ainsi que les mots humains sont incapables d’exprimer ce qui est surhumain[4]". Il en est de même pour Gemma Galgani qu'il cite. Maria Valtorta écrit à son propos : "J’avoue que je n’étais pas du tout attirée par [Gemma] Galgani. Pour ce que j’en savais, elle me paraissait un peu exaltée, née à une époque qui n’était pas la sienne, elle était en retard de quelques siècles sur le moment où elle aurait dû naître. Je ne cessais de dire: “Aujourd’hui la sainteté est différente. Ce genre de choses étaient bonnes au Moyen-Age!” Mais en lisant sa vie, je changeais d’avis[5]"..
"La manière est assez proche de celle de Marie d'Agreda"[modifier | modifier le wikicode]
Cela milite en effet pour l'authenticité des visions : voir la même chose est source d'un récit similaire. Marie d'Agreda et Maria Valtorta rapportent les mêmes visions qu'elles consignent elles-mêmes. Les distorsions entre les deux textes viennent du fait que Maria Valtorta les consigna tout de suite, mais que Marie d'Agréda ne put le faire que 35 ans après.
"Le Jésus de M. Valtorta s'exprime abondamment, souvent de manière superflue, voire contestable"[modifier | modifier le wikicode]
Cette opinion avait été exprimée par l'Osservatore romano du 6 janvier 1960. Ce à quoi Hélène Thils note :"Jésus est loquace. C’est vrai, mais ce n’est pas un fait nouveau. L’Évangile souligne depuis longtemps les longs discours du Christ. Ainsi, Marc déclare : « Il se mit à les enseigner longuement » (Marc 6, 34). Ailleurs, il souligne : « Jésus se mit de nouveau à enseigner au bord de la mer de Galilée. Une foule très nombreuse se rassembla auprès de lui (…). Il leur enseignait beaucoup de choses en paraboles » (Marc 4, 1-2). N’oublions pas non plus le sermon sur la montagne (Matthieu, chapitre 5 à 7)[6] ou encore les longs développements du Christ dans l’Évangile de Jean (chapitre 13-14)[7]. Il ne faut pas s’étonner de ces longs enseignements du Christ. Jésus est un rabbi, il conseille donc tout le peuple d’Israël. On vient le trouver ou on l’invite à parler dans les synagogues et les places publiques. Il est aussi le Messie et le Fils de Dieu : son but est donc d’annoncer la Bonne Nouvelle et l’Évangile au peuple hébreu qui l’attend depuis des siècles. Il n’y a dès lors rien d’étonnant à ce que le Christ enseigne le peuple juif autant qu’il le peut. Il sait que son aurore sera courte et que son crépuscule viendra bientôt[8]."Il s'agit donc d'une opinion personnelle qui n'engage que son auteur. Le Bienheureux Gabriele Allegra, dont l'autorité en la matière n'est pas à remettre en cause[9], jugeait au contraire "que certains des discours du Seigneur - dont les principaux sujets sont tout juste évoqués dans les Évangiles - sont développés dans cette œuvre avec un naturel, avec un fil de pensée si logique, si spontané, si intrinsèquement lié au temps, au lieu, aux circonstances, que je n’ai pas trouvés chez les exégètes les plus célèbres." Et il invite "à jeter un œil à cette œuvre où de nombreux problèmes sont résolus avec une facilité merveilleuse, et où tant de discours, dont nous n’avions malheureusement que le thème, sont retrouvés[10]." Il ne fut pas le seul à juger ainsi[11].
Enseignant sur les places publiques aussi bien que dans les synagogues ou au Temple[12], il est clair que Jésus enseignait fréquemment, parfois longuement, et qu’il répétait ses enseignements pour qu’ils soient bien compris.
"[L'œuvre peut] favoriser l'accès de l'Évangile à qui ne se soucie guère de fidélité à l'Écriture, de sens critique ni de sobriété"[modifier | modifier le wikicode]
Cette opinion personnelle qui relèguerait cette révélation privée à une sous-littérature est contredite par sa constitution même. Elle est en cohérence avec les 373 unités narratives des quatre Évangiles canoniques que ses visions recouvrent entièrement, sans omissions, contradictions ou incohérences. Dix théologiens d’autorité passèrent cette œuvre au peigne fin sans trouver d’opinions opposées à la foi ou la morale, même quand s’exprimaient, ici ou là, des opinions novatrices ou des faits inédits. Dans ce cadre, ils ont dénombré la référence explicite ou implicite à 1.166 chapitres de la Bible sur les 1.334 qu’elle comporte au total. Et parmi cela, la présence d’au moins 3 133 références à la Septante en usage au temps de Jésus, alors même que Maria Valtorta ignorait tout du sujet.
Il n'y a pas de vies de Jésus du commerce, même les plus recommandables, qui aient ces caractéristiques.
Commentaires sur les sources invoquées[modifier | modifier le wikicode]
Cet article de Jean-Marie Le Maire, de qualité par ailleurs bien que bref, montre la limite d'un recours aux seules sources secondaires qui aboutit à fonder une opinion basée sur "ce qu'on en dit" et non sur ce qui est vraiment dit. D'autres part, la documentation, basée sur trois sources seulement, semble restreinte par rapport à l'audience de l'œuvre de Maria Valtorta.
Une des trois sources qu'il retient est celle du "P.-A. Gramaglia, Maria Valtorta. Una moderna manipulazione dei Vangeli, Casale Monferrato, 1985.". Ce livre avait fait l'objet d'un commentaire critique assez ferme d'un autre jésuite, le Père Giandomenico Mucci. Dans la revue de référence Civiltà cattolica, il déplorait son "recours au sarcasme, au ridicule et aux vulgarités, frôlant parfois l'insulte personnelle, que l'auteur a délibérément employé, presque à chaque page" et le Père Giandomenico Mucci ,concluait en remarquant dans l'œuvre de Maria Valtorta : "l'essence de la pure adhésion à la Révélation écrite, de cette simplicité de la parole, de cette maîtrise des sentiments et de l'imagination, qui est la gloire et le signe du vrai mysticisme catholique.[13]"
Notes et références[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Autobiographie, pp. 277-280.
- ↑ Autobiographie, p. 343.
- ↑ Autobiographie, p. 422.
- ↑ Autobiographie, pp. 154-155.
- ↑ Autobiographie, p. 390.
- ↑ On peut rajouter le discours sur la fin des temps qui couvre les chapitres 24 et 25 de Matthieu.
- ↑ L'enseignement donné à la dernière Cène s'étend même jusqu'au chapitre 17 inclus.
- ↑ Hélène Thils, L'article de l'osservatore romano, que dit-il ? qu'en penser ?, 2022, p. 22.
- ↑ Le Bienheureux Gabriele-Maria Allegra (26 décembre 1907– 26 janvier 1976) est un franciscain connu pour la réalisation de la première traduction complète de la Bible en chinois (1968), puis du premier dictionnaire biblique en cette langue (1975).
- ↑ Gabriele M. Allegra, Eloge de l'œuvre de Maria Valtorta - Extraits du journal du Bienheureux Gabriele Allegra - Mardi et Mercredi Saints, 9-10 avril 1968, Macao, éd EMV, 2022.
- ↑ Par exemple Mgr Alfonso Carinci : "[l'œuvre de Maria Valtorta] contient de nombreux discours de Notre-Seigneur, des apôtres, ou d’autres personnages. Je n’y ai rien trouvé qui soit contraire à l’Évangile. C’en est plutôt un bon complément qui en met le sens en valeur. Ces discours correspondent admirablement à ceux rapportés par l’Évangile et sont en harmonie avec eux. Les discours qui se trouvent déjà dans l’Évangile ne sont pas rapportés tels quels, mais ils sont complétés et précisés de façon que chacun d’eux soit limpide, clair et si bien conçu qu’il semble jailli d’un seul jet de la même source." (Attestation de 1952).
- ↑ Jean 18,20.
- ↑ Civiltà cattolica, octobre 1986, Segnalazioni, p.99.