Mgr Alfonso Carinci et Maria Valtorta

    De Wiki Maria Valtorta
    Mgr Alfonso Carinci
    Mgr Alfonso Carinci (1862-1963) - Secrétaire de la Congrégation pour les Rites sacrés (actuellement pour la cause des saints)

    Alfonso Carinci est né à Rome le 9 novembre 1862, sous Pie IX (1846-1878). Devenu prêtre en 1885, il devient maître des cérémonies[1] de Léon XIII (1878-1903) et confident de Pie X (1903-1914). Le 4 août 1903, il est donc déjà présent dans cette fonction lors de l’élection de Pie X dont Il fut un des confidents comme il le sera, quarante ans plus tard, celui de Pie XII.

    Mgr Carinci était un habitué des institutions vaticanes. Il dirigea le mouvement Adoratio Quotidiana et Perpetua Sanctissimi Eucharistiae Sacramenti inter Sacerdotes (Adoration perpétuelle et quotidienne du Très Saint‑Sacrement parmi les prêtres séculiers)[2].

    De 1911 à 1930, il fut le recteur de l’Almo Collegio Capranica (Vénérable collège capranicien), où s’était formé, avant sa prise de fonction, Eugenio Pacelli, le futur Pie XII. Le collège Capranica était en effet le grand séminaire (collège pontifical) le plus ancien de Rome.

    De 1930 à 1960, il assuma la fonction de secrétaire de la Congrégation des Rites[3], qui s’occupait de la cause des saints. À ce titre il eut à superviser 64 procès en canonisation, dont celui de St Pie X dont il était proche, "et la béatification d'environ 500 Bienheureux"[4], acquérant ainsi une grande compétence en ce domaine[5]. Ce qui donne une autorité particulière à l'avis qu'il donna dans son attestation de 1952 sur l'œuvre de Maria Valtorta et au soutien qu'il lui témoigna dans la correspondance qu'il entretint avec elle du 9 janvier 1949 au 23 décembre 1955. Mgr Carinci entretint aussi une correspondance avec Thomas Merton, ce moine venu de l’anglicanisme dont les enseignements spirituels et l’engagement dans le monde marquèrent des générations de chrétiens.

    C'est en juin 1946 que le Père Corrado Berti fait lire à Mgr Carinci des extraits des dictées de Maria Valtorta (sur le Purgatoire, sur l’Enfer et sur le Pain de Vie). Mgr Carinci en est frappé, notamment par celle sur le Purgatoire[6]. Le Père Berti le fréquentait avec assiduité depuis quelques années, à partir du jour où il avait fait sa connaissance au couvent des Augustiniennes, sur les pentes du Janicule.

    Par deux fois Mgr Carinci rencontra Maria Valtorta à Viareggio : le dimanche 11 avril 1948, un mois et demi après l'audience papale (preuve de l'impact positif de l'avis de Pie XII) et le dimanche 29 juin 1952 où il vint dire la messe dans la chambre même de la grabataire[7].

    Archevêque titulaire, il avait souhaité renoncer au cardinalat. Il portait le titre de "titulaire de Séleucie d’Isaurie", aujourd'hui en Turquie. Les évêques sans diocèse étaient dits in partibus car il leur était attribué un ancien diocèse tombé généralement aux mains des musulmans[8].

    Après sa mort, Mgr Carinci fut oublié, bien qu’il soit tenu comme en "odeur de sainteté". Paul VI, le huitième des papes qu'il connut, le qualifia, par un jeu de mot italien, de “honneur du clergé romain (Decoro del Clero romano)”, au lieu du titre de “doyen du clergé romain (Decano del Clero romano)” qui lui revenait. Emilio Pisani, dans Pro e contro Maria Valtorta témoigne avoir vu cet éloge du Pape gravé sur sa pierre tombale, dans la troisième chapelle de droite de l’église Santa Maria del Sufragio, via Giulia[9]. Mais les Ouvriers silencieux de la Croix, qui ont la garde de cette église, effacèrent la mémoire de Mgr Carinci en enfonçant sa tombe pour y superposer celle de leur fondateur, Luigi Novarese, mort en 1984[10].

    L'attestation de 1952

    Quand il rédigea son attestation le 17 janvier 1952, il avait quatre‑vingt‑dix ans. Depuis près de six ans il suivait le cas de Maria Valtorta mais aussi les agissements du Saint-Office et les réactions de Pie XII qu'il informait. Il était parfaitement au courant de la tentative de destruction de l'œuvre, comme sans doute de l'intervention tumultueuse de Luigina Sinapi. On lira avec attention l'attestation de Mgr Carinci certifié car celle-ci atterrit sur le bureau du Saint-Office. Celui-là même qui huit ans plus tard écrira dans l'Osservatore romano : "malgré les personnalités illustres (dont l'incontestable bonne foi a été surprise) qui ont apporté leur appui à la publication, le Saint-Office a cru nécessaire de la mettre dans l'Index des Livres prohibés. Les motifs sont évidents pour qui aura une patience de Chartreux, de lire ces presque quatre mille pages[11]." Une telle pique visait, entre autres, Mgr Carinci qui venait de quitter son poste la veille de la publication[12]. Accuser un proche de Pie XII récemment défunt, dont la responsabilité s'était exercée sur des centaines de canonisations et béatifications était ni plus ni moins tenter de le taxer de sénilité et ainsi de décrédibiliser ses prises de positions. Les voici :
    "J’ai lu il y a quelques années des parties de l’Œuvre “Paroles de vie éternelle”, écrite par Mademoiselle Maria Valtorta. Dans une certaine mesure, c’est à elle aussi que nous la devons. Je dis “dans une certaine mesure”, parce que des témoins dignes de foi m’ont plusieurs fois assuré que la partie narrative de l’Œuvre est due à l’écrivain, qui déclare avoir rapporté le mieux possible ce qu’elle voyait ou entendait. En ce qui concerne sa partie doctrinale, en revanche, elle n’aurait fait qu’écrire, comme sous dictée, ce qu’elle entendait ou ce qui lui était dit, avec toute la précision dont est capable un instrument humain.

    La partie narrative—ou littéraire—est très belle, écrite dans une langue soutenue, sans corrections, comme cela ressort des manuscrits que j’ai vus. Cette partie est l’œuvre personnelle de mademoiselle Valtorta; elle porte réellement une empreinte plus féminine devant certains détails, par exemple quand elle s’attarde sur la description minutieuse des vêtements. Toutefois, si l’on tient compte des qualités morales de la personne qui écrit, il faut considérer qu’elle ne ment pas quand elle assure ne rien avoir rapporté qu’elle n’ait vu ou entendu. Effectivement, la substance de ce qu’elle a décrit—par exemple les personnages, leur attitude, les vêtements, etc.—soit correspond à la vérité s’il s’agit de particularités connues au moins des spécialistes, soit est vraisemblable, car en harmonie avec ce que l’on sait.

    La topographie de la Palestine correspond tellement à la réalité, comme le confirme le révérend Père Bea, que personne, même s’il a longuement vécu dans ces régions, ne pourrait les décrire avec une telle exactitude, jusque dans ses moindres détails. Cela ne peut que nous surprendre, si l’on pense que l’écrivain est clouée au lit depuis près de vingt ans, sans jamais en avoir bougé si ce n’est lors de l’évacuation et pour les élections. Qui plus est, elle ne dispose pas de livres, à l’exception de la sainte Ecriture et du Catéchisme, et n’a jamais étudié la configuration des lieux saints. Des personnes compétentes et même des ingénieurs ayant une profonde connaissance de la Palestine et qui s’y sont rendus pour des travaux, ont retrouvé les lieux décrits avec précision dans l’Œuvre, et ont constaté avec la plus vive émotion l’exactitude des descriptions.

    J’ai relevé certains défauts dans cette partie narrative qui, je le rappelle, est la composition de mademoiselle Valtorta. Par exemple, je n’apprécie guère la description de l’attitude incorrecte de Marie‑Madeleine, encore pécheresse; elle devait certainement être ainsi[13], mais on aurait peut‑être pu la laisser de côté sans dommage pour l’ensemble de l’Œuvre. Il est possible que d’autres défauts semblables se trouvent dans les autres parties de l’Œuvre, mais ils doivent être rares, car ces pages sont toutes d’une grande élévation. Je considère du reste que ces fautes doivent être attribuées à l’action personnelle de l’écrivain et sont rectifiables.

    La partie doctrinale n’est pas séparée de la narrative: elle y est entrelacée artistiquement. Elle contient de nombreux discours de Notre-Seigneur, des apôtres, ou d’autres personnages. Je n’y ai rien trouvé qui soit contraire à l’Évangile. C’en est plutôt un bon complément qui en met le sens en valeur.

    Ces discours correspondent admirablement à ceux rapportés par l’Évangile et sont en harmonie avec eux. Les discours qui se trouvent déjà dans l’Évangile ne sont pas rapportés tels quels, mais ils sont complétés et précisés de façon que chacun d’eux soit limpide, clair et si bien conçu qu’il semble jailli d’un seul jet de la même source. Les parties ajoutées en complément ou à titre d’éclaircissement sont de la même nature que les sermons évangéliques et aussi sublimes qu’eux. Je peux rappeler à ce propos le dialogue de Jésus avec la Samaritaine, complété et clarifié de manière incomparable, sans que l’on remarque la moindre trace de rupture entre ce qui se trouve dans l’Évangile et les ajouts, et sans différence de niveau doctrinal[14]. Quant aux discours qui ne sont pas dans l’Évangile mais sont rapportés dans l’Œuvre, ils sont cohérents, par la forme et la doctrine, avec ceux que l’on connaît déjà et avec la doctrine approfondie et proposée par l’Église catholique sous l’influence de l’Esprit Saint. À titre d’exemple, on trouve dans la bouche de Notre-Seigneur des affirmations concernant l’exemption totale du péché originel chez Marie, la primauté et l’infaillibilité de Pierre et de ses successeurs ou encore le purgatoire[15].

    Si je descends dans les détails, je puis dire que les discours des apôtres sont l’expression de leur caractère: Pierre, André, Philippe, Judas sont, à travers toutes les pages que j’ai lues, toujours cohérents. Le discours de saint Jean, prononcé lorsque le Seigneur envoya ses apôtres prêcher pour la première fois, refête parfaitement le style de l’écrivain de “Au commencement était le Verbe…”

    Quant à ceux de Notre-Seigneur, ils ne contiennent rien qui ne soit conforme à son esprit, bien que nombre d’entre eux enseignent une doctrine qui suppose une science théologique inconnue de mademoiselle Valtorta: celle‑ci n’a étudié que le catéchisme du bienheureux Pie X.

    La lecture de l’Œuvre m’a permis d’admirer la divine économie utilisée par Notre-Seigneur pour la conversion de la Samaritaine et de Marie‑Madeleine, comme aussi lors de toutes les tentatives de sa charité pour obtenir le repentir de Judas.

    À en juger par tout cela, il me semble impossible qu’une femme de culture théologique médiocre, privée de tout livre apte à servir son but (elle ne possède ni vie de Jésus, ni atlas, etc. mais uniquement l’Écriture sainte) ait pu écrire toute seule et avec une telle exactitude des pages aussi sublimes.

    On me dit que l’Œuvre présente une figure de Notre-Seigneur trop diminuée. Évidemment, si, comme dans les évangiles d’ailleurs—, on n’y trouvait que la description d’épisodes tels que la naissance dans une grotte, la fuite précipitée en Égypte, l’humble travail de Jésus dans l’atelier de Joseph, le jeûne, la faim et la tentation par le diable au désert, les moments où il est chassé de la synagogue de Nazareth ou de la région de Gérasa, la flagellation, les crachats, la soif sur la croix, l’abandon du Père, etc. en omettant tout le reste, on ne verrait pas la majesté divine et royale de Jésus, Voix de Dieu et faiseur de miracles jamais vus, comme le présentent d’autres descriptions. Puisque cette Œuvre est plus ample que les évangiles, cela augmente la longueur des épisodes ou des détails qui, à première vue, pourraient donner l’impression de diminuer la figure du Seigneur; mais, en contrepartie, les passages dans lesquels la majesté divine et royale de Jésus resplendit admirablement sont eux aussi plus longs.

    Les épisodes qui semblent la réduire, dans cette Œuvre comme du reste dans les saints évangiles, ne doivent pas faire impression si l’on pense à ce qu’a écrit saint Grégoire le Grand sur la tentation diabolique contre Jésus. Il ne fut pas indigne de Notre-Seigneur d’être tenté par le diable, si l’on considère qu’il en est venu à se faire tuer. Je puis donc affirmer que la grandeur divine de Notre-Seigneur est bien visible dans l’Œuvre. Les parties dans lesquelles il paraît humilié sont compensées par les autres. “Il s’humilia lui‑même jusqu’à la mort, et la mort de la croix.”

    À en juger par le bien que l’on éprouve à cette lecture, je suis pleinement d’avis que cette Œuvre, une fois publiée, pourrait amener nombre d’âmes au Seigneur: les pécheurs à la conversion et les bons à une vie plus fervente et plus active.

    À une époque où une presse immorale envahit le monde et où les représentations corrompent la jeunesse, nous éprouvons spontanément le désir de rendre grâce au Seigneur de nous avoir donné, par l’intermédiaire d’une femme souffrante clouée au lit, une Œuvre aussi belle littérairement, aussi élevée, accessible et profonde doctrinalement et spirituellement, d’une lecture agréable, et apte à être représentée au cinéma et au théâtre. Je sais d’ailleurs que des artistes ont pu, en lisant l’Œuvre et selon les indications de l’écrivain, reproduire admirablement la Face de Jésus par la peinture et la sculpture, ainsi que celui de la Vierge et des douze apôtres par le dessin, enfin les traits du Corps de Jésus par la peinture, identiques à ce qu’on peut voir sur le linceul[16].

    J’ai exposé mon opinion, et je sais qu’elle est partagée par des théologiens et des exégètes de valeur qui ont également lu les volumes que je n’ai pas eus en main. Je pense au révérend Père Béa, à Mgr Lattanzi et à bien d’autres. Malgré cela, je reste, on le comprendra aisément, prêt à me corriger si le Saint‑Père en jugeait autrement.

    Rome, le 17 janvier 1952

    + Alfonso Carinci, archev. Tit. De Séleucie d’Isaurie"

    Correspondance avec Maria Valtorta

    Le contexte

    11 avril 1948, quelques semaines seulement après l’audience papale, Mgr Carinci se rendit personnellement à Viareggio. Lors de cette première entrevue, Maria Valtorta lui demanda de prendre soin de l’approbation de l’Œuvre, ce que Jésus demandait avec insistance.

    Été 1948, Parole di Vita eterna est publiée avec l’imprimatur de Mgr Barneschi. C’est une maquette de ce qui deviendra L’Évangile tel qu’il m’a été révélé.

    25 octobre 1948, Maria Valtorta annonce la sortie probable du premier tome "fin novembre"[17].

    11 novembre 1948, le , Père Gargiani, procureur général des Servites de Marie (le secrétaire général de l’ordre), reçut une demande du Pape : "par l'entremise de Mgr Montini et de Mgr Tardini[18], le Saint-Père a fait savoir au Père Gargiani, procureur général des Servites de Marie (O.S.M.), qu'il devait s'adresser à l'évêque d'Aquino[19] pour obtenir une seconde approbation plus valide, puis imprimer et tenir des conférences dans des imprimeries et des salles n'appartenant pas à la Cité du Vatican, afin que les prélats hostiles ne puissent pas nuire à l'Œuvre[20]."

    29 novembre 1948 : Les rotatives allaient se mettre à tourner "quand le Saint-Office fit appeler le Père procureur général de l'ordre des Servites de Marie et lui intima de dire au Père Berti et au Père Migliorini de ne plus s'occuper de l'œuvre s'ils ne voulaient pas tomber sous le coups des décrets du Saint-Office, pour avoir abusivement arraché (?) à Mgr Barneschi son approbation". Plusieurs prélats, dont Mgr Carinci conseillent de continuer la publication, mais se gardent d'intervenir directement[21].

    23 décembre 1948, Maria Valtorta reçoit une supplique grave adressée par Dieu le Père Lui-même au Pape Pie XII. Il est invité à défendre avec autorité et fermeté une œuvre qui sera la "gloire future de son pontificat"[22].

    Les échanges

    (Le texte de cette section est partiellement repris de "À la rencontre de Maria Valtorta", tome 2, pp. 225-241.[23])

    9 janvier 1949, sous la pression des évènements alarmants, Maria Valtorta prend l’initiative de s’adresser directement à Mgr Alfonso Carinci. Elle lui fait part que "des difficultés, continuelles et toujours croissantes, viennent de certains prélats pour empêcher le bon aboutissement de l’Œuvre ".

    Dans sa longue lettre introductive, Maria Valtorta, exprime son inquiétude, mais surtout son désarroi et sa douleur : tout s’écroule. Non pas à cause de la méfiance de “certains prélats”, car Jésus l’en avait déjà averti, mais du fait que l’avis du Pape était aussi ouvertement bafoué. Elle en est profondément bouleversée.

    Elle argumente en se référant au Christ. Elle démontre ainsi un aplomb étonnant quand on se rappelle qu’elle s’adresse à un haut personnage de la Curie qu’elle connaissait à peine. Ce qu'elle écrit prend parfois des allures de modernité.
    "Le Divin Maître m’a appris que la Sagesse, autrement dit le Saint‑Esprit, ne peut donner des inspirations contradictoires à propos d’une même chose, étant l’unique Esprit qui inspire, et encore cela : malheur à ce royaume divisé en lui‑même par la contradiction des points de vue entre ses principaux composants, car l’action efficace y périt et une désorientation surgit qui perturbe les plus petits du troupeau. Et encore, il m’a appris que c’est pour cette raison que, constituant son Église, il a pris Pierre et l’a fait chef, et qu’il souhaitait qu’il se perpétue jusqu’à la fin des siècles, afin que la parole de la tête, en cas de contestation, soit prononcée pour mettre fin à toutes les contestations Finalement, il m’a dit, et me répète sans cesse, que celui que l’élection à la chaire de Pierre (le pape) a fait un autre Christ ne peut que reconnaître le Christ qui parle dans les pages doctrinales de l’œuvre."
    Autrement dit le Pape, devenu Vicaire du Christ par son élection, ne pouvait que reconnaître l’Auteur divin dans les enseignements de l’Œuvre, ce qui fut effectivement le cas lorsqu’il encouragea sa publication. Et Maria Valtorta poursuit :
    […] Ce qui se passe aujourd’hui est en opposition ouverte à tout cela, et c’est comme un monde entier, le monde de ma foi absolue dans les enseignements de l’Église, qui s’écroule et c’est un étonnement douloureux qui se crée dans mon âme qui en reste bouleversée.
    Elle continue dans un ton qui dénote une audace étonnante et une énergie sans faille :
    "Comment cela se peut‑il ? Pour moi, je dis que dans cette bataille, il y a la vraie preuve que l’Œuvre est vraiment de Dieu, car, comme toute chose de Dieu, c’est “un signe de contradiction”. Mais Dieu regrette que le contenu de son don reste inerte, alors qu’il aurait tant besoin d’être lu par tant d’égarés ... Votre Excellence, le 11 avril (1948), je vous ai demandé une chose : l’approbation de l’œuvre dans l’intérêt suprême du Saint‑Père. Je vous demande la même chose maintenant.

    Portez mon cri de supplication à Saint Sainteté ! Tous mes espoirs reposent en lui.

    Aidez‑moi à contenter le Seigneur qui veut que l’Œuvre aille à la foule que trop de doctrines politiques et trop de permissivités mondaines, poussent à un paganisme effrayant, et plus qu’un paganisme : à une haine envers Dieu et son Église, ce qui fait peur et fait de la peine à tous les catholiques et aux justes d’esprit, et moi, parmi eux, qui voudrais à tout prix mettre un terme à ce qui fait souffrir le Saint‑Père et tout le christianisme, et offense le Seigneur."
    Mgr Carinci lui répond de façon amicale dès le 17 janvier. Il la rassure : il n’est question que de vérification et non d’interdiction. Il conclut :
    Continuez à écrire tranquillement sous la dictée habituelle jusqu’à ce que le Dictant ou l’autorité ecclésiastique légitime vous interdise d’écrire davantage.
    Le 20 janvier 1949, Maria Valtorta se réjouit d’avoir trouvé une oreille qui l’écoute. Elle abonde même dans son sens : la vérification des écrits est une des directives de Jésus qui veut une approbation sûre à l’Œuvre. Elle continuera à écrire, comme Mgr Carinci l’y invite, bien que son travail soit terminé avec l’Œuvre, mais “ la dictée divine donne encore les lumières de sa parole au moindre de ses serviteurs”. Cependant, elle n’est qu’à moitié rassurée et en appelle de nouveau au Pape :
    "Je voudrais pouvoir avoir confiance en la disposition bienveillante des juges (le Saint‑Office). Et c’est la raison pour laquelle j’aimerais souhaiter adresser ma supplication au pasteur suprême parce que je suis convaincue qu’un seul mot de Sa Sainteté pourrait obtenir cette bienveillance."
    Sur la lettre que vient de lui envoyer Maria Valtorta, Mgr Carinci note :
    Au cours de l’audience du 28 janvier (1949), j’ai lu au Saint‑Père cette lettre qui l’a impressionné et il a loué son esprit d’humilité et son empressement à obéir. Quant à la publication de l’ouvrage, il m’a dit qu’il s’occupait du Saint‑Office et j’ai eu l’impression que son jugement ne lui serait peut‑être pas favorable. A l’audience du 28 janvier (1949), j’ai lu au Saint‑Père cette lettre, qui lui fit une excellente impression. Il loua son esprit d’humilité et sa disposition à l’obéissance. en ce qui concerne la publication de l’Œuvre il me dit que le St- Office s’en occupait et j’ai eu l’impression qu’il n’était pas trop favorable au jugement qu’il allait porter.
    Le mardi 22 février 1949, veille du mercredi des cendres et de l'entrée en Carême, l’Œuvre est brusquement stoppée. Le Père Berti est convoqué en dehors de toutes procédures par deux censeurs, dont Mgr Giovanni Pepe, en charge de la censure des livres. Désormais le conflit, pour feutré qu’il soit, n’en est pas moins ouvert. Aucun des Servites de Marie n’ose prévenir Maria Valtorta. C’est un simple laïc de passage à Rome qui l’en prévient le lendemain car la nouvelle bruissait dans les couloirs du Vatican. Mais l’adversité mobilise Maria Valtorta car ce n’est pas elle qui est en péril, mais la mission que le Ciel lui a confiée.

    Dans sa lettre du 8 mars 1949 elle informe Mgr Carinci que l’Œuvre a été condamnée par le Saint‑Office. Elle se fait obéissante et fait signifier à l’Ordre des servites de Marie qu’il faut respecter, jusqu’à nouvel ordre, la décision du Saint‑Office. Mais elle contrattaque : la procédure n’est pas conforme au droit canonique. Elle s’adjoint les services d’un magistrat spécialiste du droit canonique. Elle liste toutes les irrégularités commises au regard de ce droit. Elle proteste de sa bonne foi, car elle n’a aucune visée personnelle. Mais ce n’est pas la bonne manière de s’opposer au Saint‑Office que de l’attaquer de front avec des arguments dont probablement il se moque. Au reçu de cette lettre, Mgr Carinci a déjà son idée : il demande à Maria Valtorta de réécrire sa lettre en supprimant les passages qu’il lui indique. Il ne conserve que les éléments factuels et l’exposé des raisons favorables à l’Œuvre. Son idée est simple : faire appel au Pape. Pour l’heure, il minimise les volontés hostiles du Saint‑Office et la rassure.

    C’est efficace, Maria Valtorta obtempère et argumente sur la mission qui lui est confiée. Mgr Carinci lit en détail l’Œuvre qu’il apprécie de plus en plus. Cela met du baume au cœur meurtri de Maria Valtorta. Ils communient dès lors sur le  plan divin qui s’exprime au travers de l’Œuvre.

    Le 29 septembre 1949, Mgr Carinci rajoute une pièce au dossier pour le Pape :
    "Je suis persuadé que vos écrits au Saint‑Office font l’objet d’un examen plus précis. Et en parlant des écrits, on m’a dit que vous savez où repose le corps de saint Pierre. Alors qu’un rapport est en cours de préparation sur les fouilles effectuées dans les grottes du Vatican sous l’autel central, je vous demanderais de communiquer au Saint‑Père ce que vous savez: Je (lui) présenterais volontiers le texte qui éclairerait ce sujet très important pour toute la chrétienté."
    Le 8 Novembre 1949, la dynamique est en route : "Le révérend père Roschini m’a également dit, note Maria Valtorta, que Votre Excellence, ainsi que d’autres révérends, ont commencé à travailler sérieusement pour obtenir le déblocage souhaité de l’Œuvre." Mais cela n’aboutit pas.

    Le 29 mars 1950, Maria Valtorta constate : "De même que je savais à partir du mois de décembre qu’une audience spéciale avait été demandée à Sa‑Sainteté, je sais aussi que l’audience n’avait pas été entendue au début, puis elle a été notée pour le 3 mars, puis pour le 9 mars, pour ne pas être accordée."

    Elle ignore encore ce qu'elle apprendra quelques jours plus tard : les démarches de Luigina Sinapi au Saint-Office. Cette servante de Dieu était une voyante familière de Pie XII. Sur ordre de Jésus elle était venue interpeller le Saint-Office sur les raisons du blocage des écrits de Maria Valtorta. Elle fut menacée, y compris de viol et alla rapporter ce blocage de l'œuvre de Maria Valtorta au Souverain Pontife qui la croyait déjà éditée.

    L’Année sainte de 1950 capte toutes les énergies. L’environnement direct du Pape n’est pas partisan d’une nouvelle rencontre qui mènerait à affronter en direct le Saint‑Office. La demande d’audience fut reportée sine die. Elle n’aura plus lieu. La suite de la confrontation attendra la mort du Souverain Pontife pour reprendre par la mise à l'Index.

    D'ici là, Mgr Carinci organisa une supplique au Saint-Père où figurèrent "les personnalités illustres" dont se moquera plus tard le Saint-Office, les taxant de naïveté. Datée du 29 janvier 1952, cette supplique de hauts personnages aboutit sur le bureau … du Saint-Office.

    Le 29 juin 1952, fête des saints apôtres Pierre et Paul, Mgr Carinci célèbre la messe dans la chambre même de Maria Valtorta à Viareggio, lui causant une joie indicible . C’était la seconde fois qu’il venait la voir.

    La correspondance se termina en 1954. Elle avait pris un tour plus spirituel sur l’offrande victimale de Maria Valtorta qu’elle confirme dans la dernière lettre qu’elle lui écrit. Après quoi elle entra progressivement en prostration. Deux billets brefs de Mgr Carinci furent envoyés en 1955 pour l’assurer de sa pensée et de sa prière.

    Notes et références

    1. Le maître des cérémonies pontificales est une figure essentielle dans l’organisation et la coordination des célébrations liturgiques du pape, qu'elles soient publiques ou privées. Il coordonne et supervise les cérémonies liturgiques et assiste directement le souverain pontife pendant les célébrations. Il joue donc un rôle central dans la mise en valeur de la liturgie, qui est l'expression visible de la foi de l'Église. Cet organisme est aujourd'hui appelé Office des célébrations liturgiques.
    2. Ce mouvement a donné lieu, en 2007, à une communication de la congrégation pour le clergé sous la signature du cardinal Cláudio Hummes
    3. Son secrétaire, second personnage de la congrégation après le préfet, servait de sacristain au pape. Avant sa réforme par Paul VI, cette congrégation s’occupait du culte divin (liturgie, administration des sacrements), du culte des saints (procès de canonisation) et des questions de cérémonial. Le Pro‑Préfet de cette congrégation était le cardinal Clemente Micara (1902‑1965) qui tenait de facto le rôle d’évêque de Rome, titre officiel du Pape. Ce cardinal était surnommé le “Grand Électeur” en raison du poids de son avis dans les conclaves qui suivirent. Mgr Carinci est donc bien au cœur de la Curie.
    4. Ces chiffres sont donnés dans "La morte di Monsignor Carinci", hommage du Bienheureux Luigi Novarese, janvier 1964. Mgr Luigi Novarese (1914-1984), est le fondateur des Ouvriers silencieux de la Croix et du Centre des volontaires de la souffrance (auquel Maria Valtorta adhéra). Il a été béatifié le 11 mai 2013, à Rome. Il avait rencontré de son vivant Maria Valtorta dont il avait entendu parler par son ami Mgr Carinci. Pour les chiffres importants des béatifications, il faut prendre en compte, que certaines étaient collectives. Voir à ce sujet : Canonisations prononcées par Pie XII | Béatifications prononcées par Pie XII. Auxquelles se rajoutent celles prononcées par Pie XI à partir de 1930 et celles de Jean XXIII jusqu'en 1960.
    5. Il eut à superviser notamment les canonisations de Gemma Galgani, Catherine Labouré, John Fisher, Thomas More, Domenico Savio et de Pie X qu’il connaissait bien.
    6. Dans son ultime témoignage, le P. Berti rappelle cet avis de Mgr Carinci : "Je n'ai jamais lu un écrit aussi parfait, aussi clair et profond sur le Purgatoire".
    7. Un des enfants de chœur est le jeune Giovanni Geminiani, celui‑là même qui, devenu professeur à hôpital psychiatrique de Maggiano, confirmera que Maria Valtorta n’était en rien atteinte de folie dans la dernière partie de sa vie : "le fou est celui qui prend Maria Valtorta pour une folle" avait-il confié à son ami Emilio Pisani.
    8. In partibus infidelium signifie "dans les contrées des infidèles" et désigne des diocèses où n'existe plus de communauté chrétienne locale par suite de l'expansion musulmane. Sous Léon XIII, la congrégation pour la doctrine de la foi par son décret du 3 mars 1882, a changé la dénomination d’évêque in partibus infidelium en "évêque titulaire" et les diocèses concernés en "diocèses titulaires".
    9. Voir la vidéo de présentation (italien et anglais) par les Silenziosi Operai della Croce.
    10. Emilio Pisani rajoute : "(La pierre portant la phrase de Paul VI fut récupérée dans un dépôt grâce à l’appui de l’auteur de ces lignes, qui n’a pu s’assurer qu’elle a bien été replacée dans cette chapelle de l’église Santa Maria del Sufragio de la via Giulia)."
    11. "nonostante che illustri personalitá (la cui indubbia buona fede è stata sorpresa) abbiano dato il loro appoggio alla pubblicazione, il S. Offizio ha creduto necessario metterla nell'Indice dei Libri proibiti. I motivi sono facilmente individuabili da chi abbia la certosina pazienza di leggere le quasi quattromila pagine di fitta stampa."
    12. Mgr Carinci a quitté officiellement ses fonctions le 5 janvier 1960 à l'âge de 97 ans et un mois. La mise à l'Index était déjà prononcée, mais elle n'est rendue publique que le 6 janvier.
    13. Voir les débuts tumultueux de la vie de Marie Madeleine "de laquelle étaient sortis sept démons" (Luc 8,2-3),
    14. Cf. EMV 143.3/5.
    15. Voir les articles correspondants.
    16. Voir Lorenzo Ferri, illustrateur de Maria Valtorta et les travaux qu'il a mené sur le linceul de Turin.
    17. Lettres à Mère Teresa Maria, Tome 2, 25 octobre 1948, p. 166.
    18. Les secrétaires particuliers de Pie XII.
    19. C'est dans ce diocèse, dont l'évêque état Mgr Michele Fontevecchia, que se trouvait la maison d'édition Michele Pisani qui imprimait des livres religieux pour le compte des milieux catholiques romains.
    20. Lettres à Mère Teresa Maria, Tome 2, 11 novembre 1948, pp. 167-168.
    21. Lettres à Mère Teresa Maria, Tome 2, 16 décembre 1948, pp. 172_176.
    22. Les Carnets, 23 décembre 1948, pp. 180-181.
    23. François-Michel Debroise, À la rencontre de Maria Valtorta, son œuvre, C.E.V. 2020, ISBN 978-88-7987-349-9