Procès de Jésus
L'Évangile rapporte six procès consécutifs de Jésus devant quatre interlocuteurs différents :
1. La comparution, la nuit, devant Hanne rapportée par Jean 18,12-14 ; 19-24, seul.
2. Le procès, de nuit, devant Caïphe (Joseph), le Grand Prêtre et le Sanhédrin. Il est rapporté conjointement par Matthieu 26,57-68 | Marc 14,53-65 | Luc 22,54-65 | Jean 18,24.
3. Le second procès, au matin, devant les mêmes. Il est rapporté par Matthieu 27,1-2 | Marc 15,1 | Luc 22,66-71, mais Jean n'en dit rien.
4. La première comparution devant Ponce Pilate. Elle est rapportée par les quatre évangélistes : Matthieu 27,11-14 | Marc 15,2-5 | Luc 23,1-5 | Jean 18,28-38.
5. La comparution devant Hérode Antipas. Seul Luc la rapporte en Luc 23,6-12.
6. La seconde comparution devant Ponce Pilate entrainant la condamnation de Jésus à la crucifixion. Elle est rapportée par les quatre évangélistes : Matthieu 27,15-26 | Marc 15,6-15 | Luc 23,13-25 | Jean 18,39 jusqu'à 19,16.
Maria Valtorta rapporte l'ensemble de ces procès dans une longue vision de près de trente pages (EMV 604). Comment se situe son récit par rapport aux témoignages de l'Évangile et par rapport à la critique historique ?
La comparution, la nuit, devant Hanne
Dans l'Évangile, Jésus est conduit d’abord chez Hanne, l’ancien grand prêtre et beau-père de Caïphe (Joseph), le Grand Prêtre. Il l’interroge sur son enseignement et ses disciples sans plus de précisions. Jésus répond qu’il a toujours prêché publiquement dans les synagogues et le Temple. Un serviteur le frappe. Hanne ne prononce pas de jugement et l’envoie à son gendre, le grand prêtre Caïphe.
La critique historique a contesté l'authenticité de ce procès uniquement rapporté par l’Évangile de Jean et qui n’apparaît pas dans les synoptiques (Matthieu, Marc, Luc). De plus, Hanne n’était plus grand prêtre au moment des faits et n’avait aucune autorité légale pour juger Jésus. Certains historiens en ont donc déduit que c'était un ajout tardif.
Dans Maria Valtorta, après sa capture au Gethsémani, Jésus est traîné brutalement jusqu'aux murs de la ville où l'attendent Jean et Pierre arrivés par un raccourci. Jésus est conduit jusqu'à la maison d'Hanne n'est pas dans le Temple mais à son extrémité, "près d'une série de murailles, qui semblent marquer ici la limite de la ville, et qui de ce lieu s'étendent avec des portiques et des cours à travers le flanc de la colline pour arriver dans l'enceinte du Temple proprement dit, c'est-à-dire où vont les Israélites pour leurs diverses manifestations du culte." Jean entre en même temps que la "foule hurlante" qui s'était agglomérée tout au long du chemin. C'est une servante qui ouvre le portail et se fait renverser.
Si Hanne interroge Jésus "sur ses disciples et sur son enseignement", ce n'est pas par curiosité, mais pour trouver un motif de condamnation et pour identifier les disciples infiltrés dans le Sanhédrin. Il lui promet la vie sauve contre la délation. À tout cela Jésus renvoie au témoignage qu'il a publiquement donné et à sa vocation assumée de Messie Rédempteur."De quoi m'accuses-tu ?""D'avoir apporté une doctrine nouvelle."
"O prêtre ! Israël pullule de doctrines nouvelles : les esséniens ont la leur, les sadochites[1] la leur, les pharisiens la leur, chacun a sa doctrine secrète qui, pour l'un s'appelle plaisir, pour l'autre or, pour un autre puissance. Chacun a son idole. Pas Moi. J'ai repris la Loi piétinée de mon Père, du Dieu Éternel, et je suis revenu dire simplement les dix propositions du Décalogue. Je me suis desséché les poumons pour les faire entrer dans des cœurs qui ne les connaissaient plus."
"Horreur ! Blasphème ! C'est à moi, prêtre, que tu dis cela ? Il n'a pas de Temple, Israël ? Nous sommes comme les exilés de Babylone ? Réponds."
"C'est ce que vous êtes et plus encore. Il y a un Temple. Oui. Un édifice. Dieu n'y est pas. Il a fui devant l'abomination qui est dans sa maison. Mais pourquoi tant m'interroger puisque ma mort est décidée ?" [...]
"Parle, parle. Tu le sais : je puis te tuer et te sauver. Je suis puissant."
"Tu es fange. Je laisse à la fange le métier d'espion. Je suis Lumière."
Un sbire Lui lâche un coup de poing.
"Je suis Lumière. Lumière et Vérité. J'ai parlé ouvertement au monde, j'ai enseigné dans les synagogues et au Temple où se rassemblent les juifs, et je n'ai rien dit en secret. Je le répète : pourquoi m'interroges-tu ? Interroge ceux qui ont entendu ce que j'ai dit. Eux le savent."
Un autre sbire Lui donne une gifle en criant :
"C'est ainsi que tu réponds au Grand Prêtre ?"
"C'est à Hanne que je parle. Le Pontife c'est Caïphe. Et je parle avec le respect dû au vieillard. Mais s'il te semble que j'ai mal parlé, montre-le-moi. Autrement pourquoi me frappes-tu ?"
"Laissez-le faire. Je vais trouver Caïphe. Vous, gardez-le ici jusqu'à ce que j'en décide autrement. Et faites qu'il ne parle à personne." Hanne sort[2].
En conclusion
Il n'y a aucune ambiguïté sur la position d’Hanne : il n’est pas grand-prêtre en titre, mais détient le pouvoir réel. En effet, ancien grand-prêtre lui-même, cinq de ses fils et son gendre occupèrent cette charge, affirmant ainsi sa domination comme patriarche. Cette autorité transparaît dans la scène décrite par Maria Valtorta qui rejoint ainsi ce que l'on sait historiquement d'Hanne : un personnage très influent. Si, dans l’Évangile, le chef des gardes l’appelle 'Grand Prêtre', c'est au titre d'un usage honorifique. De même, la dernière phrase du récit de Maria Valtorta, rapporté par un témoin oculaire, Jean, ne laisse aucun doute : celui qui décide, c’est Hanne, le chef de clan. Le récit de Maria Valtorta demeure donc fidèle à l’Évangile, sans prêter le flanc à la critique historique.
Le procès, de nuit, devant Caïphe et le Sanhédrin
Dans l'Évangile, le Sanhédrin cherche des témoins contre Jésus mais leurs témoignages sont contradictoires. Caïphe (Joseph), le Grand Prêtre lui demande s’il est le Messie, le Fils de Dieu. Jésus répond : "Tu l’as dit" (Matthieu 26,64) et évoque son retour glorieux. Le grand prêtre déchire alors ses vêtements et l’accuse de blasphème. Le Sanhédrin le condamne à mort, mais ne peut exécuter lui-même la sentence car les Romains ont retiré ce pouvoir (jus gladii et sanguinis[3]) aux autorités juives.
Pour la critique historique, la réunion nocturne du Sanhédrin pose problème : selon la Mishna (traité Sanhedrin 4,1), les procès de peine capitale ne devaient pas avoir lieu la nuit et nécessitaient un délai avant l’exécution. La présence de témoins contradictoires (Marc 14,56) rend le verdict douteux. Les historiens estiment donc que le procès nocturne est improbable et que le véritable procès a eu lieu le matin.
Dans Maria Valtorta : Jésus reste au milieu des argousins. Coups de corde, crachats, injures, coups de pied, les cheveux arrachés, c'est ce qui Lui reste, jusqu'au moment où un serviteur vient dire d'amener le Prisonnier dans la maison de Caïphe.
Et Jésus, toujours lié et maltraité, sort de nouveau sous les arcades, les parcourt jusqu'à une entrée et puis traverse une cour où une foule nombreuse se réchauffe à un feu, car la nuit est devenue froide et venteuse dans ces premières heures du vendredi. Il y a aussi Pierre avec Jean, mêlés à la foule hostile, et ils doivent avoir un beau courage pour rester là... Jésus les regarde et il a une ombre de sourire sur sa bouche déjà enflée par les coups reçus.
[...] la séance commence. Mais Caïphe voit deux ou trois sièges vides et demande : "Où est Éléazar ? Et où est Jean ?" Un jeune scribe, je crois, se lève, s'incline et dit : "Ils ont refusé de venir. Voici l'écrit. - Qu'on le conserve et qu'on écrive, Ils en répondront. Qu'ont les saints membres de ce Conseil à dire à son sujet ?"
Suivent alors des accusations proférées par des sanhédristes auxquelles Jésus répond par le silence[4]. Devant ce mutisme, Caïphe exaspéré, le somme de parler : "Ton ministère est illégal, tu le sais. Il est passible de mort. Parle."
C'est le moment où Gamaliel s'écrie : "Illégale est cette séance que nous tenons[5]. Lève-toi, Siméon, et partons - Mais rabbi, tu deviens fou ? - Je respecte les règles. Il n'est pas permis de procéder comme nous procédons, et j'en ferai une accusation publique." Il y a un peu de tumulte dont profitent Nicodème et Joseph pour renchérir : "Gamaliel a raison. Illicite est l'heure et l'endroit, et les accusations manquent de consistance. Quelqu'un peut-il l'accuser d'avoir méprisé notoirement la Loi ? Je suis son ami et je jure que je l'ai toujours trouvé respectueux envers la Loi" dit Nicodème. "Et moi également. Et pour ne pas souscrire à un crime je me couvre la tête, non à cause de Lui, mais à cause de nous, et je sors."
Mais Caïphe le retient : "Ah ! vous parlez ainsi ? Que viennent les témoins assermentés, alors. Et écoutez. Puis vous vous en irez." Entrent deux figures de galériens. Regards fuyants, sourires cruels, mouvements sournois. "Parlez", commande Caïphe. "Il n'est pas licite de les entendre ensemble" crie Joseph. "Je suis le Grand Prêtre. Je commande. Et silence !" Joseph d'Arimathie sort, suivi de Nicodème en menaçant : "de ce pas je vais dire au Préteur qu'ici on tue sans respect pour Rome""Que parlent les témoins !" crie Caïphe."Oui, celui-ci usait le... le... Nous le savions... Comment s'appelle cette chose ?"
"Le tétragramme[6], peut-être ?"
"Voilà ! Tu l'as dit ! Il évoquait les morts. Il enseignait la rébellion pour le sabbat et la profanation pour l'autel. Nous le jurons. Il disait qu'il voulait détruire le Temple pour le reconstruire en trois jours avec l'aide des démons."
"Non. Il disait : il ne sera pas fait par l'homme[7]."
Caïphe descend de son siège et vient près de Jésus. Petit, obèse, laid, il semble un énorme crapaud près d'une fleur. Car Jésus, malgré ses blessures, ses contusions, souillé et dépeigné, est encore tellement beau et majestueux : "Tu ne parles pas ? Quelles accusations ils font contre Toi ! Horribles ! Parle pour enlever de Toi cette honte."
Mais Jésus se tait. Il le regarde et se tait : "Réponds à moi, alors. Je suis ton Pontife. Au nom du Dieu vivant, je t'en conjure. Dis-moi : es-tu le Christ, le Fils de Dieu ?"
"Tu l'as dit. Je le suis[8]. Et vous verrez le Fils de l'homme, assis à la droite de la puissance du Père, venir sur les nuées du ciel. Du reste, pourquoi m'interroges-tu ? J'ai parlé en public pendant trois ans. Je n'ai rien dit de caché. Interroge ceux qui m'ont entendu. Ils te diront ce que j'ai dit et ce que j'ai fait."
Un des soldats qui le tiennent le frappe sur la bouche en le faisant saigner de nouveau, et crie : "C'est ainsi que tu réponds, ô satan, au Grand Prêtre ?"
Et Jésus, avec douceur, lui répond comme à celui d'auparavant : "Si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? Si j'ai mal parlé, pourquoi ne me dis-tu pas où je me trompe ? Je répète : je suis le Christ, Fils de Dieu. Je ne puis mentir. Le Grand Prêtre, le Prêtre Éternel, c'est Moi. Et Moi seul je porte le vrai Rational sur lequel il est écrit : Doctrine et Vérité. Et à elles je suis fidèle, jusqu'à la mort, ignominieuse aux yeux des hommes, sainte aux yeux de Dieu, et jusqu'à la bienheureuse Résurrection. Je suis l'Oint. Pontife et Roi je suis. Et je vais prendre mon sceptre et avec lui, comme avec un van, purifier l'aire. Ce Temple sera détruit et ressuscitera, nouveau, saint, car celui-ci est corrompu et Dieu l'a abandonné à son destin."
"Blasphémateur !" crient-ils tous en chœur.
"En trois jours tu le feras, fou et possédé ?"
"Non pas celui-ci, mais le mien se dressera, le Temple du Dieu vrai, vivant, saint, trois fois saint."
"Anathème !" crient-ils de nouveau en chœur.
Caïphe élève sa voix éraillée et déchire ses vêtements de lin avec des gestes d'horreur étudiés, et il dit : "Quoi d'autre avons-nous besoin d'entendre des témoins ? Le blasphème est dit. Que faisons-nous donc ?"
Et tous en chœur : "Il est passible de la mort."
En conclusion
Le procès nocturne de Jésus présente de nombreuses irrégularités qui enfreignent les règles judiciaires du Sanhédrin, telles que décrites dans la Mishna (Traité Sanhedrin). Le récit de Maria Valtorta met en lumière ces entorses à la loi avec une précision remarquable, bien qu'elle n'ait probablement pas eu de connaissance approfondie de ces règles. Son témoignage renforce ainsi la véracité évangélique quant à la nature illégale et préméditée de la condamnation de Jésus.
1. L'Illégalité du lieu et du moment
Selon la loi juive, un procès capital devait se tenir de jour et dans un lieu approprié. Le Sanhédrin ne siégeait pas dans la maison du grand-prêtre, mais dans la Chambre des Pierres Taillées, située dans le Temple de Jérusalem[9]. Or, le procès de Jésus se déroule chez Caïphe, de nuit, ce qui est une double violation des règles (Sanhedrin 4,1).
2. Un procès exclusivement à charge
Le Sanhédrin avait pour obligation d'examiner les faits à charge et à décharge[10]. Or, dans le récit évangélique et celui de Maria Valtorta, le procès est à charge dès le départ, avec une volonté manifeste de condamner Jésus sans débat contradictoire.
3. Une présidence usurpée
Dans les évangiles, Gamaliel, qui était probablement le président du Sanhédrin, n'est pas mentionné. Dans le récit de Maria Valtorta, il est présent mais quitte la séance en protestant contre son illégalité. La présidence est en fait accaparée par Caïphe, le grand-prêtre, ce qui est une autre irrégularité.
4. Des témoignages contradictoires
La Mishna stipule que les témoignages doivent être cohérents pour être recevables[7]. Or, dans l'évangile comme dans le récit de Valtorta, les témoins se contredisent, ce qui aurait dû entraîner l'annulation de la procédure.
5. L'autoritarisme de Caïphe
Joseph d'Arimathie proteste en affirmant qu'il n'est pas licite d'entendre les témoins ensemble. Caïphe réplique alors : "Je suis le Grand Prêtre. Je commande. Et silence !" Cette attitude montre une transgression flagrante des règles de procédure, qui garantissaient normalement un jugement équitable.
Le récit de Maria Valtorta met en lumière une vérité fondamentale des évangiles : le procès de Jésus était une mascarade juridique, organisée dans l'unique but de le condamner. Les irrégularités relevées, conformes aux textes de la Mishna, confirment que cette condamnation était décidée d'avance par les autorités religieuses du peuple[11]. Ainsi, loin d'affaiblir la crédibilité des évangiles, le récit de Valtorta vient au contraire en renforcer la portée historique et judiciaire.
Le second procès, au matin, devant les mêmes
Dans l'Évangile, le Sanhédrin se réunit officiellement à l'aube pour ratifier la condamnation. Jésus est de nouveau interrogé sur son identité divine et confirme être le Fils de Dieu. La condamnation à mort est confirmée. Jésus est envoyé à Ponce Pilate, car seul le gouverneur romain peut prononcer une exécution.
Pour la critique historique, ce procès est plus plausible que celui de la nuit, car il respecte mieux les règles juives connues. Cependant, le motif du blasphème (Jésus se proclamant Messie et Fils de Dieu) pose question : Si le Sanhédrin voulait accuser Jésus de blasphème, la lapidation était la peine prévue par la Loi juive (Lévitique 24,16). La décision d’envoyer Jésus à Pilate semble indiquer que l’accusation de blasphème a été transformée en un motif politique (sédition contre Rome) plus apte à emporter l'exécution de Jésus.
Dans Maria Valtorta, Jésus est abandonné à la populace qui le maltraite, lui crache dessus, lui bande les yeux et se moque de le voir heurter, tables, chaises et murs. On lui tire les cheveux en demandant "Qui t'a frappé ? Devine" comme le rapporte Luc 22,63-66. Les heures passent ainsi, et les bourreaux fatigués songent à prendre un peu de repos. Ils mènent Jésus dans un débarras en Lui faisant traverser de nombreuses cours an milieu des moqueries de la plèbe déjà nombreuse dans l'enceinte des maisons pontificales. Jésus arrive dans la cour où se trouve Pierre près de son feu et il le regarde. Mais Pierre fuit son regard. Jean n'est plus là..
L'aube arrive. Un ordre est donné : ramener le Prisonnier "dans la salle du Conseil pour un procès plus légal". C'est le moment où Pierre nie pour la troisième fois de connaître le Christ quand celui-ci passe déjà marqué par ses souffrances. Un coq chante au moment où s'est fait un grand silence à l'apparition du Christ. On entend alors Pierre dire avec assurance : "Je le jure, femme. Je ne le connais pas", affirmation à laquelle répond le chant du coq. Pierre sursaute, et en se retournant pour fuir se trouve en face de Jésus qui le regarde avec une infinie pitié et une douleur profonde et intense.
Le procès "plus légal" est rapporté en un seul verset par Matthieu et Marc. Il est tout aussi laconique dans Luc. Il en est de même pour Maria Valtorta :"Jésus est ramené dans la salle, et ils Lui répètent en chœur la question insidieuse : "Au nom du Dieu vrai, dis-nous : es-tu le Christ ?" Et ayant eu la réponse d'avant, ils le condamnent à mort et donnent l'ordre de le conduire à Pilate[12]."
En conclusion
Le compte-rendu succinct du procès de Jésus au petit matin, tant par les évangélistes que par Maria Valtorta, suggère qu'il ne s'agit que d'une simple formalité. En réalité, cette audience visait à régulariser l'irrégularité du procès nocturne. Gamaliel, président du Sanhédrin, avait quitté la séance en menaçant d'en dénoncer l'illégalité, tandis que Nicodème et Joseph d'Arimathie souhaitaient en référer à Ponce Pilate. L'affaire risquait donc d'être compromise.
Ce second procès, purement formel, constitue en lui-même un aveu : le procès de la nuit n'était qu'une mascarade juridique. Mais pour obtenir une condamnation effective, les chefs religieux procèdent à une manipulation subtile. Initialement accusé de blasphème pour s'être déclaré Fils de Dieu, Jésus sera présenté à Pilate sous une toute autre accusation : celle de sédition contre Rome. Pour ce faire, ils exploitent une ambiguïté linguistique et culturelle : dans la tradition juive, le terme "Christ" (Messie) désigne l'Oint attendu, investi d'une mission divine, tandis que pour les Romains, cette onction divine être interprétée comme un titre politique signifiant "roi". Ainsi, en affirmant que Jésus se présente comme le Christ, ils laissent entendre à Pilate qu'il revendique un pouvoir royal terrestre, ce qui constitue un motif de condamnation sous l'occupation romaine. Ce tour de passe-passe sémantique permet de détourner l'accusation religieuse en un chef d'accusation politique, assurant ainsi que Rome exécute la sentence.
La première comparution devant Ponce Pilate
Dans l'Évangile, les chefs du peuple accusent Jésus de se proclamer roi des Juifs et d’inciter à la révolte. Ponce Pilate interroge Jésus, qui reconnaît être roi, mais précise que son royaume "n’est pas de ce monde" (Jean 18,36). Pilate ne trouve aucun motif de condamnation. Pilate cherche à éviter une condamnation et, apprenant que Jésus est Galiléen, l’envoie à Hérode Antipas, qui gouverne cette région.
Pour la critique historique, Pilate est décrit, dans l'Évangile, comme hésitant et manipulé par les chefs du peuple, mais les sources historiques de l'époque[13].le présente au contraire comme brutal et peu enclin à céder à la pression. D'autre part, l’idée que Pilate ait voulu relâcher Jésus pour respecter la coutume de la grâce pascale est contestée car aucune source romaine ne mentionne une telle coutume. La critique pense donc que cet épisode a été introduit pour minimiser la responsabilité de Pilate et accentuer celle des Juifs.
Dans Maria Valtorta, Jésus est promené enchaîné dans la ville alors que l'aurore pointe. Sans doute pour attendre le lever de Ponce Pilate,. On le traîne volontairement par les marchés, devant les écuries et les auberges remplies de gens à cause de la Pâque. Jésus reçoit déchets et excréments. La troupe hurlante grossit de minute en minute.
En chemin il croise Élie, le berger, puis Manaën et Jeanne de Kouza qu'il bénit autant qu'il peut le faire de ses mains liés et la gêne des bleus et des œdèmes qui apparaissent.
Cette foule hurlante fait sortir un manipule[14] de soldats romains qui sortent en courant de la forteresse Antonia. Leurs lances dispersent la populace et ne restent que Jésus avec les gardes et les chefs des prêtres, des scribes et des anciens du peuple. Ils demandent que Jésus soit conduit à Ponce Pilate pour qu'il le juge et le condamne avec la justice bien connue et honnête de Rome.
Jésus entre au Prétoire. Le Gouverneur arrive. Il entre indolemment, avec un sourire sceptique et semble se désintéresser de la situation. Finalement, après avoir marché en long et en large dans la vaste pièce, Ponce Pilate va directement en face de Jésus, le regarde et demande à ce qu'on fasse venir ses accusateurs et il va s'asseoir sur un siège placé sur une estrade.
Il interroge "les princes des prêtres, les scribes et les anciens" sur l'accusation qu'ils portent contre Jésus. Ce à quoi ils ne répondent pas directement : "Si ce n'était pas un malfaiteur, nous ne te l'aurions pas amené." Ponce Pilate repose donc sa question : "Quelle accusation portez-vous contre Lui ? Je le répète. - Il a commis un crime contre la Loi des pères. - Et vous venez me déranger pour cela ? Prenez-le, vous et jugez-le selon vos lois." Ce qu'ils refusent, ne pouvant pas "mettre quelqu'un à mort".
Ponce Pilate enquête : "Dites : en quoi a-t-il commis un crime contre vos lois ? - Nous avons trouvé qu'il mettait le désordre dans notre nation et qu'il empêchait de payer le tribut à César, en se disant le Christ, roi des juifs."Pilate va demander alors à Jésus : "Es-tu le roi des juifs ? - Le demandes-tu de toi-même ou parce que d'autres l'insinuent ?" "Et que veux-tu que m'importe ton royaume ? Suis-je juif, par hasard ? Ta nation et ses chefs t'ont livré pour que je juge. Qu'as-tu fait ? Je sais que tu es loyal. Parle. Est-ce vrai que tu aspires à régner ?""Mon Royaume n'est pas de ce monde. Si c'était un royaume du monde, mes ministres et mes soldats auraient combattu pour que les juifs ne s'emparent pas de Moi. Mais mon Royaume n'est pas de la Terre et tu sais que je n'aspire pas au pouvoir."
"C'est vrai. Je le sais, on me l'a dit. Mais tu ne nies pas que tu es roi ?"
"Tu le dis. Je suis Roi. C'est pour cela que je suis venu au monde : pour rendre témoignage à la Vérité. Qui est ami de la vérité écoute ma voix."
"Et qu'est-ce que c'est la vérité ? Tu es philosophe ? Cela ne sert pas devant de la mort. Socrate est mort quand même."
"Mais cela lui a servi devant la vie, à bien vivre et aussi à bien mourir. Et à entrer dans la seconde vie sans avoir trahi les vertus civiques."
"Par Jupiter !" Pilate le regarde un moment avec admiration, puis il reprend son sarcasme sceptique. Il fait un geste d'ennui, Lui tourne le dos, et revient vers les juifs : "Je ne trouve en Lui aucune faute."
La foule se déchaîne, prise par la panique de perdre sa proie et le spectacle du supplice. Elle crie : "C'est un rebelle !" - "Un blasphémateur !" - "Il encourage le libertinage !" - "Il pousse à la rébellion !" - "Il refuse le respect à César !" - "Il veut se faire passer pour prophète" - "Il fait de la magie" - "C'est un satan" - "Il soulève le peuple avec ses doctrines en les enseignant dans toute le Judée, à laquelle il est venu de la Galilée en enseignant" - "À mort !" - "À mort !"
"Il est galiléen ? Tu es galiléen ?"
Pilate revient vers Jésus : "Tu les entends comme ils t'accusent ? Disculpe-toi." Mais Jésus se tait[4].
Pilate réfléchit... Et il décide : "Une centurie, et qu'on le conduise à Hérode. Qu'il le juge, c'est son sujet. Je reconnais le droit du Tétrarque et je souscris à l'avance à son verdict. Qu'on le lui dise. Allez.[15]"
En conclusion
Dans les Évangiles, le dialogue entre Ponce Pilate et Jésus est rapporté différemment par Luc et Jean. Toutefois, le récit de Maria Valtorta en éclaire la logique et lui confère une unité. Il met en évidence que l’argument des chefs religieux – selon lequel Jésus serait un roi terrestre séditieux parce qu’il se proclame Christ – ne convainc pas Pilate. Face à une foule en ébullition et ne sachant quelle décision prendre, le gouverneur romain choisit un faux-fuyant : il renvoie Jésus à Hérode Antipas, évitant ainsi d’avoir à trancher immédiatement. Le récit de Maria Valtorta apporte ici une cohérence psychologique et historique précieuse à la trame des Évangiles.
La comparution devant Hérode Antipas
Dans l'Évangile, Hérode Antipas, curieux, veut voir Jésus accomplir un miracle. Il l’interroge longuement, mais Jésus garde le silence. Les soldats d’Hérode se moquent de lui, le revêtent d’un manteau éclatant pour le ridiculiser en roi et le renvoient à Pilate. Hérode ne prononce pas de condamnation. Il se moque de Jésus mais ne le juge pas coupable.
Pour la critique historique, le fait que seul Luc mentionne cet épisode, le rend suspect pour certains historiens. D'autre part, Hérode Antipas était un tétrarque sous domination romaine, sans pouvoir judiciaire sur un accusé politique en Judée. La critique suppose donc que l'épisode a été ajouté par Luc pour quelques motifs qui donnent lieu à supputation.
Dans Maria Valtorta, Jésus est amené sous escorte au palais d'Hérode. Les coups ne peuvent plus l'atteindre, mais les pierres pleuvent. Le voilà dans la salle, devant Hérode. Et derrière Lui sont les scribes et les pharisiens, qui ici se sentent à leur aise. Seul le centurion avec quatre soldats escortent Jésus devant le Tétrarque.
Celui-ci descend de son siège et tourne autour de Jésus en écoutant les accusations de ses ennemis. Il feint la pitié et le respect: "Tu es grand, je le sais. Et je me suis réjoui que Kouza soit ton ami et Manahen ton disciple. Moi... les soucis de l'État... Mais quel désir de te dire : grand... de te demander pardon... L'œil de Jean... sa voix m'accusent et sont toujours devant moi. Tu es le saint qui efface les péchés du monde. Absous-moi, ô Christ." Jésus se tait et poursuit son mutisme[4] devant les autres grandiloquences du Tétrarque qui finit par rire d'une idée qui lui vient : faire accomplir des miracles à Jésus comme un spectacle distrayant. Il fait venir, au grand scandale des scribes et des prêtres qui s'enfuient, un lévrier à la patte cassée, puis un palefrenier idiot dont la tête est pleine d'eau, qui bave. Dans les deux cas, Jésus le regarde avec sévérité et se tait.
Hérode Antipas se moque alors de sa continence et décide de lui faire goûter le vin et les femmes. Il fait venir les coupes et des danseuses quasi-nues. Jésus repousse les coupes et il ferme les yeux sans parler. La cour d'Hérode rit de son indignation. Devant l'impassibilité de Jésus, le Tétrarque abandonne :"Suffit. Je t'ai traité en Dieu et tu n'as pas agi en Dieu. Je t'ai traité en homme et tu n'as pas agi en homme. Tu es fou. Un vêtement blanc. Revêtez-le de celui-ci pour que Ponce Pilate sache que le Tétrarque a jugé fou son sujet. Centurion, tu diras au Proconsul que Hérode lui présente humblement son respect et vénère Rome. Allez." Et Jésus, attaché de nouveau, sort avec une tunique de lin qui Lui arrive aux genoux par dessus son vêtement rouge de laine."
En conclusion
La seconde comparution devant Ponce Pilate
Dans l'Évangile, Ponce Pilate reconnaît l’innocence de Jésus et cherche à le libérer par la coutume de la grâce pascale. Il propose de relâcher Jésus ou Barabbas, un criminel. La foule, incitée par les chefs du peuple, réclame Barabbas. Pilate fait alors flageller Jésus et le livre aux soldats, qui le couronnent d’épines et le couvrent d’insultes. Il tente encore une fois de l’épargner, mais les prêtres menacent : "Si tu le relâches, tu n’es pas ami de César" (Jean 19,12). Pilate, craignant des représailles, cède et condamne Jésus à la crucifixion. Pilate se lave les mains pour signifier qu’il se décharge de cette condamnation. Il livre Jésus pour être crucifié.
Pour la critique historique, la scène où Pilate se lave les mains (Matthieu 27,24) semble une insistance sur la culpabilité du peuple juif, typique d’une écriture postérieure à la destruction du Temple (70 ap. J.-C.). De même, la mention du peuple criant "Que son sang soit sur nous et sur nos enfants !" (Matthieu 27,25) est vue comme une construction destinée à expliquer la chute de Jérusalem et à dédouaner les Romains. Enfin, le rôle de Pilate apparaît trop clément par rapport à ce que nous savons de son caractère historique[13].
Dans Maria Valtorta,
Notes et références
- ↑ Sadoqhites = Sadducéens. Ce groupe politique et religieux, auquel appartient Hanne, tire son nom de Saddoq que Salomon institua Grand Prêtre après avoir écarté Abiatar (Èbyatar). Les descendants de Saddoq assurèrent dès lors le service suprême du Temple.
- ↑ EMV 604.4/9.
- ↑ Cette expression est opposée, un peu plus tard, par un soldat romain à un juif qui demandait la mort de Jésus (EMV 604.20). "Jus gladii" désigne le pouvoir de mise à mort, réservé en dernier ressort à l'autorité romaine. C'est pourquoi les chefs juifs devaient obtenir l'approbation de Pilate pour exécuter Jésus. Quant à "jus gladii et sanguinis", cela semble renforcer ou préciser la portée du droit de vie et de mort. Cela pourrait signifier le droit d'exécuter et de verser le sang, insistant sur l'aspect sanglant de l'exécution.
- ↑ 4,0 4,1 et 4,2 Tout au long de ses procès Jésus ne répondra jamais aux mensonges qu'il traite par le mutisme. Il ne répondra qu'aux accusations vraies, comme celle de sa messianité.
- ↑ Gamaliel aurait été président du Sanhédrin, la plus haute cour judiciaire et religieuse du judaïsme, de 20 à 50 après Jésus-Christ. Si le Grand-prêtre (Caïphe) s'occupait du culte, le président du Sanhédrin, il interprétait la Loi et tranchait les débats religieux. De plus, contrairement au Grand Prêtre qui était nommé par le pouvoir romain, il n’était pas sous influence. Son rôle est ici complètement méprisé.
- ↑ Le Tétragramme ou nom même de Dieu de quatre lettres (YHWH) révélé à Moïse.
- ↑ 7,0 et 7,1 Selon le Traité du Sanhédrin, les témoins doivent paraître séparément (Sanhédrin 3,6, acceptabilité des témoins) et s'ils se contredisent sur un même fait, leur témoignage est nul (Sanhédrin 5,3, procédures judiciaires pour la mise en accusation). On en a un exemple avec le procès de la chaste Suzanne mené par Daniel qui démontre ainsi les faux témoignages et sauve l'innocente (Daniel 13,51-61).
- ↑ Jésus, muet jusqu'à présent, répond à une demande faite par l'autorité religieuses à laquelle il se soumet.
- ↑ La Chambre des Pierres Taillées (Lishkat ha-Gazit en hébreu) se trouvait plus précisément sur le côté nord de la Cour des Prêtres, à la limite entre le parvis des prêtres et celui des Israélites, à proximité de l'Autel des Holocaustes. Selon la tradition juive, c’est ici que se prenaient les décisions judiciaires majeures, y compris les affaires criminelles, et uniquement de jour. Les traces historiques de cette salle ont disparues avec la destruction du Temple.
- ↑ Traité du Sanhédrin 4,1. "Dans les affaires d’argent, la discussion des juges peut commencer par l’argument favorable ou défavorable au défendeur; dans les affaires capitales, elle doit toujours commencer par l’argument favorable à l’accusé."
- ↑ Cf. Marc 14,1 | Jean 5,18 | Jean 11,50 | Jean 11,53.
- ↑ EMV 604.14/15.
- ↑ 13,0 et 13,1 Philon d’Alexandrie (De Legatione ad Gaium) et Flavius Josèphe (Antiquités juives).
- ↑ Une centaine d'hommes.
- ↑ EMV 604.16/24.